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De notre correspondante en Suisse, Cendrine HIRT

Mission humanitaire d'enseignement au Togo - 25 avril 2004


C'est dans le cadre d'un projet de promotion de l'orthophonie au Togo que Handicap International (HI) et Orthophonistes du Monde (OdM) ont dépêché sur place, à Lomé, au cours de l'année 2003, des orthophonistes pour assurer un enseignement spécialisé aux professionnels de la santé et de l'éducation en provenance du Togo et de la sous-région (Bénin, Burkina Faso).

L'objectif principal est l'amélioration des conditions de vie des personnes handicapées par des actions de sensibilisation, d'information et de formation de personnel dans le domaine des troubles du langage et de la communication :

- au niveau sanitaire: prévention, dépistage précoce, diagnostic et prise en charge médico-technique
- au niveau socio-éducatif: renforcement des structures d'enseignement spécialisé, aide à l'intégration scolaire et professionnelle, lutte contre les préjugés et l'exclusion.

Cette démarche vise donc à favoriser l'intégration scolaire et sociale des enfants et adultes présentant différents handicaps très invalidants pour leur insertion et leur épanouissement dans leur milieu de vie. Elle doit aussi contribuer à faire connaître une spécialité encore méconnue du grand public et de la plupart des professionnels et répondre aux besoins des pays francophones d'Afrique de l'Ouest (Togo, Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal, Côte d'Ivoire, etc.).

La prise en charge des pathologies du langage (surdité, aphasie, troubles de la voix, troubles du langage oral/écrit, handicap mental, autisme, IMC) nécessite l'intervention et la collaboration de plusieurs professionnels (médecins, physiothérapeutes, psychologues, enseignants, éducateurs spécialisés, audioprothésistes, orthophonistes). Malheureusement, ces deux derniers corps de métier ne sont pas présents dans ces pays. La formation des professionnels sur place doit donc permettre une prise en charge efficace des personnes présentant ces handicaps.

Ce projet s'insère dans un programme d'action 2002-2005 de HI et bénéficie du partenariat de nombreuses associations locales pour personnes handicapées: Ephphatha (école des Sourds du Togo), ATAIDEMES (Association Togolaise d'Aide aux Enfants Malentendants et Sourds), L'Envol (Institut Médico-psycho-pédagogique spécialisé dans la prise en charge des enfants déficients mentaux), services ORL des CHU Campus et Tokoin de Lomé, Associations de Réadaptation à Base Communautaire (intervention sur le terrain dans les villages).

Le Togo est un pays de petite taille (56 875 km2), d'une longueur de 600 km et d'une largeur ne dépassant pas 100 km. La population actuelle est estimée à 4,5 millions d'habitants avec une répartition très inégale selon les lieux de résidence (> 50 % de la population dans la région maritime de Lomé, capitale administrative et politique). Selon les chiffres de l'OMS, 10 % de la population totale (donc 450 000 personnes) présenterait un handicap, quel qu'il soit.

Depuis 1997, les enquêtes de HI et les observations d'une première orthophoniste venue sur place ont montré que beaucoup de handicaps ne faisaient pas l'objet de suivis malgré de nombreux besoins pour toutes les pathologies entraînant des troubles du langage et de la communication. C'est ainsi qu'en 2000 un volet "Orthophonie" faisait son apparition au sein du programme d'intervention de HI Togo.

Les bénéficiaires de ce projet sont donc, en premier lieu, les personnes handicapées elles-mêmes (handicapés moteurs, mentaux ou sensoriels) ainsi que leur famille et leur entourage, et, en second lieu, les associations de personnes handicapées ainsi que les professionnels de la santé et de l'éducation qui vont ainsi renforcer leurs capacités d'intervention et acquérir de nouvelles connaissances et un savoir-faire.

C'est donc dans ce contexte qu'a été mis en place la formation modulaire, à laquelle j'ai participé, visant à renforcer les compétences des professionnels sur le terrain, et plus précisément d'infirmiers en neurologie et en ORL, d'éducateurs spécialisés (en handicap mental, moteur ou surdité) et d'enseignants, qui deviendront au terme du projet des personnes "ressources" pour leurs collègues et les autres établissements éducatifs ou sanitaires tout en continuant à exercer, dotés de nouvelles compétences, sur leur lieu de travail.

10 modules de formation théorique et pratique ont donc été mis sur pied au cours de l'année 2003. Les 3 modules de base du tronc commun (sciences du langage, connaissances pédagogiques et psychologiques, connaissances médicales) ont été dispensés par des professionnels africains; quant aux 7 modules de spécialisation (neurologie, surdité, ORL, handicap mental, handicap moteur, troubles du langage écrit, troubles du langage oral), ils ont été assumés par 7 orthophonistes et 1 kinésithérapeute (tous Français excepté moi-même). Tous les cours ont eu lieu dans les locaux de l'ENAM (Ecole Nationale des Auxiliaires Médicaux) de Lomé sous la coordination de Claire Maier, orthophoniste à HI.

C'est ainsi que j'ai séjourné du 14 au 28 juin 2003 à Lomé pour assurer l'enseignement du module Neurologie (aphasie et traumatisme crânien) pendant 2 semaines pour un total de 60 heures: nnées médicales de base, symptomatologie langagière et cognitive, évaluation, prise en charge, communication, aspects psychologiques, etc.). Les buts principaux de cet enseignement étaient de former et de perfectionner les infirmiers susceptibles d'être confrontés à ce type de pathologies dans leur pratique professionnelle en milieu hospitalier, de leur donner des moyens simples d'observation clinique des patients, d'améliorer leurs relations et leurs échanges verbaux avec cette population et de conseiller, informer et soutenir dans la mesure de leurs possibilités les autres intervenants médicaux et thérapeutiques ainsi que les familles des patients.

Toutefois, les différences importantes d'infrastructure, de moyens techniques et thérapeutiques, d'expériences professionnelles et de culture entre le Togo (et plus largement, l'Afrique noire) et la Suisse (et plus largement le monde occidental) ont nécessité un certain nombre d'adaptations de part et d'autre tout au long de cette mission.

Le Togo compte dans sa capitale, Lomé, deux CHU (Campus et Tokoin), dont l'appellation "universitaire" n'a que très peu de points communs avec nos propres établissement hospitaliers de pointe. Ce qui frappe d'entrée tout visiteur occidental dès les premiers pas dans ces hôpitaux est la vétusté des lieux avec des services totalement sous-équipés en matériel médical (absence d'appareils technologiques de pointe, appareils techniques offerts par des ONG laissés à l'abandon suite à une panne irréparable par manque de moyens financiers ou de pièces de rechange pour des modèles trop anciens), technique (gestion administrative sur de banales fiches écrites à la main) mais aussi tout simplement sur le plan de l'aménagement (chambres des patients avec lits rudimentaires, aucune commodité, éclairage insuffisant, absence ou panne de climatisation, locaux de soins, d'examens, de chirurgie défraîchis,etc). On prend alors très rapidement conscience des réelles conditions d'hospitalisation et de soins des malades. Des patients et de nombreuses familles se côtoient dans les salles d'attente, dans les couloirs et en dehors des bâtiments, avec des personnes couchées à même le sol sur des nattes ou sur des bancs à attendre ou à dormir, d'autres qui préparent le repas sur des réchauds à charbon de bois, lavent et font sécher leur lessive, le tout sous une chaleur accablante.

Toutefois, cette énorme pénurie contraste fort heureusement avec le dévouement, l'investissement personnel, la motivation et surtout l'envie d'aller plus loin et de faire au mieux malgré le manque de tout, de tout le personnel hospitalier.

C'est ainsi que les patients neurologiques, aphasiques ou traumatisés crâniens, ne bénéficient pas à l'heure actuelle d'une rééducation logopédique et cognitive au cours de leur hospitalisation et encore moins lors de leur retour à domicile (absence de thérapeutes spécialisés, absence d'assurances-maladie, domicile très souvent en campagne éloigné de l'hôpital, etc). Cependant, les traditions de la culture africaine, telles qu'une famille très élargie et une présence quotidienne aux côtés du malade dès les premiers heures de l'hospitalisation, permettent de maintenir un lien entre le patient et son environnement et favorise d'une certaine manière leur réinsertion, même si elles rendent parfois la tâche des infirmiers plus difficile. C'est pourquoi l'un des buts de ce projet est également de développer une action directe sur le terrain par des consultations dans les CHU, effectuées par l'orthophoniste de HI, pour prendre en charge et traiter les personnes présentant ces pathologies.

Je profite de l'occasion pour remercier les acteurs importants de cette aventure: toute l'équipe de HI Togo, les responsables de l'ENAM, et surtout, les 11 participants du module Neurologie qui se sont toujours montrés motivés et accueillants à mon égard et face à l'enseignement que je leur ai proposé. J'espère sincèrement leur avoir apporté une nouvelle manière de considérer et d'aborder les patients neurologiques en souhaitant qu'ils puissent faire bon usage de ces nouvelles notions dans leur pratique professionnelle.

Pour ma part, je reviens avec des milliers de souvenirs en tête et des milliers d'émotions dans le cœur. Cette mission aura été pour moi une expérience très enrichissante et surtout inoubliable qui aura certainement changé ma vision de ma propre pratique professionnelle.

Et pour conclure, souhaitons bon vent à la première filière de formation d'orthophonistes de l'Afrique de l'Ouest qui a débuté cet automne à Lomé au Togo au sein de l'ENAM pour des étudiants togolais. Ces derniers, titulaires d'un baccalauréat, se sont lancés dans cette aventure pour une durée de 3 ans au terme de laquelle ils se verront décerner le premier diplôme africain d'orthophoniste.



Correspondance de Suisse par Cendrine Hirt, orthophoniste, membre d'Orthophonistes du Monde. Article également paru dans le bulletin "Aphasie et domaines associés",

No 1, Vol 18, 2004, CSA (Communauté Suisse de travail pour l'Aphasie).


 

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