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De notre correspondante en Suisse, Cendrine HIRT

Etre un enfant sourd au Cameroun

24 novembre 2004


Etre un enfant sourd au Cameroun


La situation des personnes sourdes dans la population africaine

Vivre ou naître avec un handicap n'a rien de facile quel que soit le coin du monde où se trouve la personne. En effet, les obstacles à surmonter sont multiples tout au long de leur vie. Dans les pays industrialisés, la technologie, la médecine et les services sociaux mettent à disposition du handicapé toute une série de moyens facilitant la vie ou atténuant les difficultés. En revanche, dans les pays en voie de développement, la personne handicapée est contrainte de vivre avec son handicap sans aucun moyen palliatif la plupart du temps.

En Afrique, il y a plus d'un milliard de personnes vivant dans la pauvreté; certaines manquent d'eau, d'autres n'ont pas accès aux soins médicaux, beaucoup n'ont pas de maisons pour se loger ni même pour se mettre à l'abri, nombre d'entre elles n'ont pas les moyens de recevoir une éducation.

Selon le Développement Humain des Nations Unies, les 20 pays les plus pauvres au monde se trouvent tous en Afrique.

Il existe différents groupes de pauvres mais les femmes et les personnes handicapées sont les plus désavantagées; elles ont pourtant des besoins importants. Les personnes sourdes, quant à elles, sont les plus négligées et vivent bien souvent dans la misère. La surdité est un handicap invisible qui peut rester longtemps ignoré. Les Etats africains s'occupent souvent des autres handicaps avant de s'intéresser à la population sourde qui devient alors marginalisée. La déficience auditive est donc un handicap difficile, tout particulièrement dans ces pays en voie de développement où la capacité à participer à des conversations est vitale pour la survie économique et sociale.

Travailler et avoir une famille sont des préoccupations qui concernant autant les sourds que les entendants. Cependant, compte tenu du taux souvent élevé de chômage dans les pays africains, les perspectives des personnes sourdes se trouvent très limitées. Souvent analphabètes, les adultes sourds rencontrent souvent de grandes difficultés à communiquer oralement et par écrit et de ce fait ne peuvent espérer se dégager une place dans le milieu du travail.

En Afrique, les gens considèrent souvent, par ignorance, la surdité comme un signe d'idiotie et de bêtise, empêchant les personnes qui en souffrent d'apprendre quoi que ce soit. Dans certains pays, les gens croient que les personnes sourdes possèdent des esprits démoniaques. Ces coutumes africaines montrent à quel point les sourds peuvent avoir une condition misérable, ne se mêlant pas avec des personnes entendantes. A cause de ces traditions, certains sourds ne connaissent pas leurs droits comme celui de s'exprimer en public. La naissance d'un handicapé dans une famille donne aujourd'hui lieu à des interprétations et préjugés de tout genre.

De plus, la notion de "sourd-muet", contre laquelle il a déjà fallu beaucoup lutter dans les pays occidentaux, persiste encore en Afrique. Pourtant, ces enfants appelés "sourds-muets" ne sont atteints d'aucun trouble les empêchant physiologiquement de parler. Leur mutité n'est que la conséquence de leur surdité. L'enfant qui naît sourd pour diverses raisons ne pourra jamais entendre la parole et la répéter naturellement comme font tous les enfants apprenant à parler; sans prise en charge, il deviendra "muet". Par ailleurs, celui qui développe une surdité suite à une maladie telle que la méningite perdra progressivement l'usage de la parole si une rééducation ne lui est pas proposée.

Naître sourd au sein des grandes familles africaines où fréquemment plus d'une dizaine de personnes dépendent du revenu d'un seul membre de la famille pour la survie quotidienne est une situation lourde de conséquences. De plus, la famille ne pourra souvent pas compter sur les gains du travail futur de l'enfant sourd. Il constitue alors une charge de plus pour la famille, un fardeau. Et quand cet enfant sourd est une fille, la surdité devient un double handicap. Qui voudra épouser une fille sourde et combien la famille de la mariée pourra-t-elle demander à celle du futur époux comme compensation financière ?

L'enfant sourd suscite malheureusement peu d'intérêt sur le plan communautaire mais aussi au niveau familial. L'investissement des parents auprès des enfants sourds est souvent infime (pas d'argent pour le transport jusqu'à l'école et peu de temps pour le suivi scolaire à la maison). Beaucoup d'enfants recensés ne sont pas inscrits à l'école. Beaucoup de parents entendants négligent leurs enfants sourds et les cachent dans leur chambre à coucher toute la journée ne les faisant sortir que pendant la nuit à cause de la honte.

Ainsi, souvent négligés par la famille, marginalisés par la société, ignorés de l'Etat, parfois analphabètes et sans emploi, les sourds en Afrique vivent encore actuellement une situation loin d'être enviable. Pourtant, pour les enfants sourds, la clé est d'apprendre: apprendre non seulement les matières scolaires mais surtout apprendre le monde, apprendre qui ils sont, à savoir des personnes à part entière pleines de capacités et de possibilités qu'on doit éveiller en eux.
Il apparaît donc v: adultes sourds à apprendre un métier, créer des emplois qui leur sont accessibles, leur donner les moyens financiers de s'installer à leur propre compte pour leur permettre d'être plus indépendants et de participer à la vie socio-économique de leur pays :

- informer et conseiller les parents et l'entourage des enfants sourds, leur donner des cours de langue des signes
- apprendre aux personnes sourdes leurs droits humains (par exemple, la reconnaissance officielle de la langue des signes, le contrôle de leurs affaires)
- encourager la création d'associations de sourds, développer des activités au sein des communautés de sourds (événements sportifs, etc.).

La fréquence et les causes de la surdité en Afrique

Environ 2/3 des personnes déficientes auditives proviennent des pays en voie de développement. Dans beaucoup de pays africains, la sensibilisation au problème de la déficience auditive est peu répandue et le manque de ressources ne permet pas de réaliser des programmes de dépistage suffisants alors que l'incidence de la déficience auditive dans ces populations est élevée.

Bien qu'il soit difficile d'obtenir une vue d'ensemble de la prévalence et des causes de la déficience auditive en Afrique, plusieurs études peuvent servir d'indicateurs et apporter une certaine représentation de la situation actuelle.
Il a été démontré que la déficience auditive est commune parmi les enfants en Afrique. Dans beaucoup de pays au sud du Sahara, le taux de prévalence de la surdité sévère ou profonde est plus élevé que dans tout autre pays en voie de développement. L'estimation du nombre d'enfants de 5 à 14 ans atteints de déficience auditive est de 1,2 millions. Dans certains pays, le taux de surdité peut s'élever jusqu'à plus de 10% des enfants.

Ce continent possède une population jeune sujette à des maladies pouvant entraîner des pertes auditives (rougeole, otite moyenne, infections bactériologiques, etc.). Ces maladies se propagent facilement et ne peuvent pas toujours être soignées. La déficience auditive due à une cause génétique peut également jouer un rôle important. (fréquence des mariages consanguins). Dans certains pays, plus de 75% des surdités sont secondaires (acquises en bas-âge suite à une méningite dans plus de 55% des cas); moins de 10% des enfants sont nés de parents sourds.

La prise en charge des enfants sourds africains

Comme en France, il n'y a pas, en Afrique, un enfant sourd mais des enfants avec des surdités de toutes sortes, des potentialités et des besoins particuliers, des milieux familiaux différents et des écoles aux projets et aux ressources variées. Pourtant, dans la plupart des écoles pour enfants sourds des pays africains sub-sahariens, la situation est la suivante:

La grande majorité des écoles a été fondée par des spécialistes de l'éducation des enfants sourds, formés parfois en Europe, parfois sur place par diverses associations. Ces pionniers ont souvent dû former eux-mêmes sur le terrain leurs assistants; ils sont très demandeurs pour réactualiser leur formation continue pour eux-mêmes et pour pouvoir proposer à leurs jeunes collègues de réelles formations initiales et continues. Pourtant, les salaires que les écoles peuvent leur verser sont rarement à la hauteur de leur engagement, de leur bonne volonté et de la créativité dont ils doivent faire preuve pour pallier le manque de formation et de matériel.

Les projets éducatifs de ces écoles se sont structurés de façon empirique à partir des besoins les plus urgents et des ressources locales. Les enseignants expriment maintenant le besoin de mener une réflexion sur les méthodes utilisées, comme par exemple quelle langue des signes utiliser. En effet, on peut trouver dans un même pays des écoles utilisant des signes de LSF (langue des signes française) et d'autres ceux de l'ASL (American Sign Language), selon l'endroit où ont été formés les premiers enseignants. Ou encore quelle place accorder aux signes par rapport à l'enseignement de la parole. Comment construire cet enseignement de la parole quand il n'y a ni orthophoniste ni, souvent, enseignant spécialisé formé.
Les enfants sourds sont très rarement appareillés, ce qui est un problème crucial. La récupération de prothèses d'occasion, même à grande échelle, ne peut suffire à le solutionner; il faut trouver le moyen de dépister et mesurer les surdités, de faire adapter et régler les prothèses, etc. De plus, se posent des questions telles que le coût des piles et les difficultés à les stocker dans des régions très chaudes et parfois très humides.

Les écoles elles-mêmes sont rarement équipées de matériel spécialisé. Dans ces centres, on trouve au mieux un audiomètre, très rarement une cabine d'audiométrie insonorisée, parfois un petit amplificateur de table (pour des dizaines d'enfants), mais le plus souvent rien.

Même le matériel pédagogique de base fait souvent défaut et la récupération de matériel n'est pas toujours une réponse adaptée car il vaut mieux aider les intervenants africains à créer ou trouver du matériel qui corresponde à la culture des enfants dans les ressources locales.

On relève néanmoins certains éléments tout à fait positifs: les : pédagogiques, des formations, des modes palliatifs de communication, etc.

Le travail mené par ces écoles a donné espoir à des familles qui se rencontrent, se documentent, se mobilisent. Aux côtés des professionnels, ces familles ont déjà commencé à faire évoluer l'image des sourds dans la société et à faire entendre des pouvoirs locaux que les personnes sourdes ont à la fois des besoins à assumer et des potentialités à partager.

La situation des sourds au Cameroun

La question de la personne handicapée en général, et du sourd et malentendant en particulier, est devenue l'un des défis majeurs au Cameroun en ce début de 21ème siècle.

Les sourds, tout comme les autres handicapés au Cameroun, éprouvent d'énormes besoins d'éducation, de formation, d'encadrement, de logement, de nutrition, de santé, etc. Ils sont aujourd'hui victimes du phénomène d'exclusion dans la société. La solidarité traditionnelle et le soutien mutuel caractéristiques de la société africaine ont disparu progressivement au profit d'un certain égocentrisme.

Pour la société, la personne handicapée est improductive et constitue donc une charge. Du fait de la crise économique, l'Etat n'a plus les ressources lui permettant de s'occuper de manière efficace des personnes handicapées. Quant aux structures privées œuvrant pour cette cause, elles sont limitées par leurs faibles moyens d'intervention.

Les institutions accueillant de enfants sourds au Cameroun sont les suivantes :

dans la province du Littoral à Douala, l'IJS (Institut des Jeunes Sourds), le CRES (Centre de Rééducation pour Enfants Sourds) et la FEDEMEA (Fondation pour Enfants Déficients Mentaux et Auditifs); dans la province de l'Ouest à Bafoussam, le CERSOM (Centre d'Education et de Réhabilitation des Sourds et Malentendants); dans la province du Nord à Garoua, le CRESAS; dans la province du Centre à Yaoundé, l'ESEDA (Ecole Spécialisée pour Enfants Déficients Auditifs, où s'est déroulée cette mission humanitaire).


L'E.S.E.D.A de Yaoundé au Cameroun
Ecole Spécialisée pour Enfants Déficients Auditifs

Historique

L'ESEDA a été ouverte en 1972 grâce à l'initiative d'une religieuse, le Dr. Hélène Ressicaud (médecin directeur à l'Ecole privée d'infirmiers de Yaoundé et médecin coordinateur des activités médicales catholiques du Cameroun). A l'époque, aucune structure n'existait pour les sourds au Cameroun. Le Dr. Ressicaud envoya des personnes se former en France, obtint un terrain et recueillit des fonds pour construire deux bâtiments.
L'école commença avec seulement 6 enfants dans une salle privée de l'école d'infirmiers avec l'aide de jeunes coopérantes françaises, professeurs spécialisés pour enfants sourds. Progressivement, les enfants sourds ont commencé à entrer de plus en plus jeunes à l'école, vers 3 ou 4 ans au lieu de 10 ans… Ainsi la démutisation a pu se faire plus tôt et a permis à de nombreux enfants d'arriver au certificat d'étude primaire.

En 1983, Hélène Ressicaud dut regagner la France sur ordre de sa congrégation car elle avait atteint l'âge de la retraite. Elle s'est éteinte au matin du 9 janvier 2004 à l'âge de 95 ans. Avant de quitter le Cameroun, elle a créé l'association "Fondation pour l'Education et la Promotion des Personnes Déficientes Auditives (FEPPDA), reconnue d'utilité publique, avec notamment Mme Josette EBANGA à la présidence du comité d'administration et Mme Gisèle MBIMI comme trésorière. C'est alors à cette association que la gestion de l'ESEDA a été remise.
Le 08 octobre 2003, un nouveau bâtiment (accueillant une cuisine et un réfectoire) offert par le Lions Club a été remis officiellement en présence du Ministre des Affaires Sociales et du Ministre de la Santé.
Dès 1985, une formation d'enseignants spécialisés pour enfants déficients auditifs d'une durée de 3 ans a été mise sur pied pour de jeunes Camerounais bacheliers.
Cette école de formation fonctionne au sein de l'ESEDA dont la plupart des enseignants ont été formés sur place. Des enseignants sont aussi formés pour les autres écoles du Cameroun, en particulier celle de Bafoussam.

Situation pédagogique

Pour l'année scolaire 2003-2004, l'école comptait 204 élèves; cette année 2004-2005, l'ESEDA accueille 197 élèves répartis dans 2 classes de maternelles, 2 classes de 1ère année, 2 classes de 2ème année, 2 classes de 3ème année, 1 classe de 4ème année, 2 classes de 5ème année, 2 classes de 6ème année, 1 classe de 7ème année, 1 classe de 8ème ainsi que 3 classes d'atelier.
D'un point de vue académique, les programme enseignés sont ceux du Ministère de l'Education Nationale du Cameroun mais les méthodes d'enseignement sont bien évidemment adaptées aux enfants sourds. L'enseignement de la langue des signes est présent depuis quelques années. Compte tenu de l'absence de logopédistes/orthophonistes au Cameroun, comme dans la plupart des pays d'Afrique, les professeurs doivent assumer à la fois l'enseignement scolaire et la prise en charge du développement du langage et

de la communication.
Les enfants y bénéficient d'une formation scolaire comportant un cycle primaire complet; au terme de cette 7ème année, les élèves se présentent au certificat d'études primaires : s sont dirigés dans l'un des ateliers de la section artisanale de l'ESEDA pour un apprentissage pratique: coupe et couture (confection de vêtements d'enfants et d'objets en tissu pagne), peinture et poterie, jardinage; la section de sculpture sur cornes de zébus a été interrompue suite au décès du maître d'atelier en juillet 2004.

Cette formation pratique est dispensée en 3 ans. Tous les élèves s'initient à toutes les spécialités et reçoivent également un enseignement général (français, maths, hygiène).

L'enseignement est dispensé par 21 intervenants dont les grades varient: une aide-maternelle, une enseignante de couture, un enseignant de céramique lui-même sourd, une stagiaire sourde ayant obtenu son baccalauréat et suivant l'école de formation de professeur spécialisé, 2 techniciennes spécialisées (enseignants n'ayant pas le niveau bac), 2 professeurs d'éducation physique et sportive, 13 professeurs spécialisés dont l'un est également interprète en LSF, l'un audioprothésiste assistant (formé dans un centre d'appareillage acoustique de Clermont-Ferrand) et l'une elle-même sourde, ancienne élève de l'ESEDA.

Activités extra-scolaires et associations liées à l'ESEDA

Maurice SIMO, un jeune professeur de l'école formé comme pair éducateur anime un pôle anti-sida pour éduquer les jeunes sourds à la prévention contre ce fléau mais également contre les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses précoces (CERAS, Centre de Ressources et d'Animation des Sourds-Muets). Pour en savoir plus, cliquez sur CERAS.
L'ESEDA propose également des activités culturelles. Une troupe théâtrale, nommée "L'Opéra du Silence" est constituée d'élèves de l'ESEDA et même parfois d'anciens élèves. Son répertoire est composé de saynètes mimées et de danses traditionnelles camerounaises accompagnées de tambours, tam-tam, etc. Cette troupe se produit au cours de fêtes scolaires.

L'APE, association des parents d'élèves, a également été créée pour améliorer les conditions de scolarisation et l'intégration des enfants sourds de l'ESEDA; elle est également responsable de la cantine de l'école. Un nouveau président et un nouveau comité ont été installés le 22 octobre dernier.

Situation financière

Le nombre d'enfants sourds scolarisés à l'ESEDA a diminué pour des raisons financières. Depuis sa fondation, l'équilibre financier avait pu être obtenu grâce à un contrôle strict du comité de gestion. Malheureusement, en raison de la crise économique qui sévit en Afrique et spécialement au Cameroun, la subvention du Ministère de l'Education Nationale a été réduite de moitié en 1990 puis totalement supprimée en 1991. La participation des parents était alors de 100'000 CFA (1000.- FF) par an bien qu'un enfant coûte en réalité près de 400'000 CFA (4000.- CHF); cependant, cet écolage a diminué de plus de la moitié à cause du chômage des parents. De plus, le coût d'un enfant est plus cher depuis que les salaires des professeurs ont augmenté du fait de la valorisation liée au diplôme mais également parce que le nombre d'enfants sourds dans une classe ne peut pas dépasser une dizaine d'élèves. Depuis 1979, SOS Enfants sans frontières apporte son soutien à l'établissement par le parrainage d'enfants ainsi que la fondation hollandaise Liliane.

Le voyage humanitaire à l'ESEDA

C'est en août 2002 que débute cette histoire. Je fais alors connaissance, par l'intermédiaire de l'ONG française "SOS Enfants sans frontières", d'une fillette alors âgée de 7 ans ½ prénommée Marie-Thérèse. A ce moment, je n'ai alors en ma possession qu'une fiche signalétique et la photo passeport d'une petite fille africaine.

Ce jour-là, je suis devenue la marraine d'une enfant sourde profonde scolarisée à l'ESEDA de Yaoundé au Cameroun. Progressivement une relation va se nouer entre nous, rythmée par l'envoi de petits colis et par la réception de petites cartes dessinées ou bricolées par ma filleule accompagnant ses bulletins scolaires. Cela ne devait être que le commencement d'une longue histoire…

Ma filleule est donc une petite fille prénommée Marie-Thérèse, née le 28 janvier 1995, âgée aujourd'hui de 9ans ½. Elle est la 3ème enfant d'une fratrie de 5 enfants et vit avec sa famille à Yaoundé au Cameroun. La situation de la famille est très précaire puisque les parents ont peu de moyens de subsistance (commerce de vivres au marché).
Cette fillette présente une surdité profonde bilatérale suite à une méningite contractée à l'âge de 15 mois et identifiée tardivement. Après avoir été plongée dans le coma pendant une semaine, cette petite fille s'est retrouvée sourde, ne sachant plus marcher et ayant l'oeil gauche fermé. Elle a cependant favorablement évolué puisqu'aujourd'hui elle est tout à fait autonome dans sa vie quotidienne, effectuant même seule les déplacements de son domicile éloigné jusqu'à l'école. Elle est scolarisée depuis l'âge de 4 ans ½ à et suit actuellement la 4ème année primaire (correspondant au Cours Elementaire 1 dans le système scolaire français).

Après un an de correspondance avec ma filleule, le besoin de me rendre sur place se fit sentir de plus en plus fortement. C'est ainsi que l'idée d'un voyage humanitaire émerge: rèse mais surtout d'apporter mes compétences d'orthophoniste aux enseignants spécialisés de cet établissement et de les aider à mieux équiper leur établissement. Ce projet a alors été officialisé à l'automne 2003

Les objectifs de ce voyage étaient donc de rencontrer ma filleule Marie-Thérèse, d'apporter du matériel éducatif et spécialisé pour équiper l'école (matériel LPC et LSF, brochures d'information sur la surdité et l'audition, bandes dessinées sur la vie d'un enfant sourd, livres pour enfants en langues des signes, livres jeunesse, ouvrages sur la surdité, jeux éducatifs, audiomètre, prothèses auditives d'occasion, tricotins et laine pour l'atelier couture, matériel pour la fabrication de jouets sonores, etc.) ainsi que d'offrir de nouveaux moyens pédagogiques aux professeurs fort méritants de cet établissement qui revêtent tant de casquettes à la fois (enseignants, éducateurs, orthophonistes, audioprothésistes, etc.) malgré des moyens limités mais avec toujours beaucoup d'ingéniosité et de créativité.

Une fois les contacts pris sur place avec Mme Ebongue, directrice de l'ESEDA, et Mme Ebanga, présidente de la FEPPDA, des démarches de recherche de donateurs et de collecte de matériel ont été entreprises à la fois en Suisse et en France auprès de multiples interlocuteurs. C'est ainsi que des dizaines de lettres et de courriels ont été envoyés à des donateurs potentiels.

Les donateurs qui ont répondu à cet appel se sont montrés très généreux et nous ont permis d'acheminer du matériel pédagogique et technique pour équiper l'école et créer une petite bibliothèque. Ainsi, ce n'est pas moins de 100 kilos de matériel qui ont été emportés à Yaoundé pour un montant de plus de 12'000.- FF.
Parmi le matériel collecté, on trouvait du matériel orthophonique, du matériel de Langage Parlé Complété, du matériel de Langue des Signes, des bandes dessinées sur la surdité, des ouvrages sur la lecture labiale, des fournitures scolaires (stylos, feutres, crayons, gommes), des livres jeunesse, des livres préscolaires, un audiomètre tonal, 20 prothèses auditives analogiques d'occasion, de petites percussions en bois pour l'atelier d'éducation auditive, du petit matériel de bricolage pour la fabrication de jouets sonores, des tricotins pour l'atelier couture ainsi que de la laine et des modèles pour l'initiation à cette activité.

Et au fil des mois de préparation, le jour J du départ pour Yaoundé est arrivé et le 8 octobre 2004, je posais le pied sur le sol du Cameroun.

Une école entourée de verdure… Une cour de récréation d'où fusent des cris et des rires d'enfants que rien ne différencie des autres cours… De petites mains qui signent avec enthousiasme… Voilà la vision de bonheur qui s'offre au visiteur étranger qui entre dans l'enceinte de l'ESEDA.

Ce qui réjouit d'emblée le visiteur est l'épanouissement de ces enfants sourds qui, sans la possibilité d'être scolarisés dans cet établissement spécialisé, resteraient isolés, confinés à la maison, mis à l'écart voire même rejetés et privés d'éducation et d'ouverture au monde. Cela reste malheureusement le cas d'un certain nombre d'enfants non recensés souvent par manque d'information de la part de leur entourage. Preuve en est ces deux adolescents de 13 et 15 ans qui sont actuellement scolarisés en 1ère année primaire à l'ESEDA pour la première fois de leur vie…
A l'ESEDA, une chance de scolarisation et de formation professionnelle est offerte à ses enfants mais c'est aussi et surtout une chance de s'insérer dans la société camerounaise, de s'ouvrir au monde et à la culture, d'acquérir une langue.

C'est pourquoi la Langue des Signes Française a été introduite depuis quelques années et constitue aujourd'hui une langue enseignée et d'enseignement; l'anglais est également abordé dès la 4ème année primaire.

Dans le but d'offrir la meilleure intégration possible, l'ESEDA suit également les anciens élèves désormais intégrés dans les établissements de la ville en leur proposant un soutien pédagogique tous les mercredi après-midi et samedi matin.

C'est aussi l'occasion pour ces adolescents de rester en contact et surtout de se rencontrer lors des "causeries" éducatives et activités du Centre de Ressources et d'Animation pour sourds-muets (CERAS) fondé par l'un des professeurs spécialisés de l'école. La lutte contre le sida, les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses précoces indésirées sont le cheval de bataille de cette association qui œuvre pour mettre à la disposition des jeunes sourds des moyens d'information et de prévention contre ces fléaux.

Ce séjour a donc été l'occasion de faire profiter les enseignants de plusieurs interventions théoriques leur permettant de réactualiser ou de compléter leurs connaissances dans certains domaines (exploitation du matériel pédagogique et thérapeutique, audiométrie tonale, lecture labiale, Langage Parlé Complété, éducation auditive).
Les professeurs spécialisés de l'ESEDA ont été contactés pour connaître leurs attentes et leurs besoins en terme de formation. Différents sujets leur ont été soumis pour leur permettre de se perfectionner sur le plan théorique mais également d'élargir leurs compétences: fin de leur formation.

Les domaines abordés par des exposés théoriques tout en faisant des liens avec la pratique pédagogique des enseignants ont été les suivants :

- initiation à l'audiométrie tonale: en effet, certains enseignants de l'établissement sont en charge de réaliser les audiogrammes des enfants sourds susceptibles d'être appareillés; cette intervention était donc destinée à réactualiser leurs connaissances mais surtout à initier les autres professeurs.
- lecture labiale: une approche théorique mais également des suggestions pratiques concernant des activités de lecture labiale pouvant être réalisés avec les enfants en travail individuel ou collectif ont été proposées.
- langage parlé complété (LPC): l'ESEDA a introduit depuis quelques années la langue des signes grâce à la formation d'un professeur et d'anciens élèves au SERAC de Paris; toutefois, l'oralisation des enfants sourds se poursuivant par une démutisation et l'apprentissage de la lecture labiale, une introduction théorique au LPC a été offerte afin de mettre à la disposition des enseignants un moyen supplémentaire dans leurs interventions "othophoniques" auprès des élèves. Des documents d'information ont également été distribués (brochures et affichettes de présentation du LPC de l'ALPC Suisse).
- éducation auditive: des activités d'éducation auditive sont proposées par l'un des professeurs spécialisés (Maurice Simo) aux enfants 1h par semaine; ces activités se déroulent de préférence à l'extérieur sur le terrain de sport au moyen d'instruments à percussion (djembé, tambour, tam tam); différents jeux d'écoute auditive sont proposés aux enfants (jeu des chaises musicales, jeu "debout/assis", jeu du petit écureuil en cage", etc.). Pour permettre aux enseignants d'élargir leurs activités et d'approfondir la démarche d'éducation auditive, une présentation d'activités travaillant l'écoute et l'analyse des sons selon différents critères (intensité, hauteur, rythme, durée, etc.) ont été présentées.
- exploitation du matériel pédagogique et spécialisé collecté: une présentation du matériel acheminé a été effectuée dans le but de découvrir comment pouvait être exploité ce nouveau matériel avec les enfants sourds, que ce soit dans le cadre d'activités d'expression et de compréhension en langage oral/écrit, d'activités de lecture labiale, d'éducation auditive, etc.

Une initiation au tricotin auprès des apprentis de l'atelier couture a suscité beaucoup d'intérêt et sera étendue aux élèves des classes; cette nouvelle activité manuelle leur permettra de créer un objet personnel de fin d'année ainsi que de petits objets à vendre lors des kermesses de l'école.
Ce fut aussi, en tant qu'orthophoniste, une expérience très enrichissante de vivre au rythme de l'école, d'observer les démarches pédagogiques dans tous les niveaux de classe et de partager idées et vécus avec les enseignants.

L'un des souhaits d'avenir de l'ESEDA serait de pouvoir équiper l'école en matériel informatique afin de proposer aux élèves d'acquérir de nouvelles compétences et d'accéder à l'immense source de connaissances qu'est l'internet.

L'ESEDA souhaiterait aussi appareiller un maximum d'enfants de l'établissement. En effet, seuls une vingtaine d'élèves bénéficient d'une adaptation prothétique alors que nombreux sont les enfants qui conservent des restes auditifs exploitables. Grâce aux vingt prothèses auditives d'occasion qui ont pu être récoltées auprès de donateurs, de nouveaux enfants, dont ma filleule Marie-Thérèse âgée de 9 ans et demi, pourront connaître la joie d'entendre mais cela reste insuffisant et la collecte d'appareils auditifs doit se poursuivre.

Je rentre de ce séjour avec des milliers de souvenirs dans la tête et des milliers d'émotions dans le cœur.

Je remercie tous les enseignants de l'ESEDA, leur directrice Mme Mpanjo Ebongue, la présidente de la fondation FEPPDA Mme Ebanga et sa trésorière Mme Mbimi et surtout tous les enfants, du plus petit au plus grand, pour leur accueil chaleureux et pour tout ce qu'ils ont bien voulu partager et me faire vivre.

Sans oublier tous les donateurs, particuliers, professionnels de la surdité, associations, éditions, qui par leur générosité ont permis de faire de cette mission un succès et d'améliorer le quotidien des élèves et enseignants de l'ESEDA. Afin que cette action se poursuive et qu'une seconde mission puisse être organisée, nous maintenons notre appel aux donateurs.

Et pour que ce projet ne reste pas une goutte d'eau dans la mer, nous espérons que le site internet (www.voyages-humanitaires.info) créé à cette occasion pour relater cette expérience suscitera d'autres initiatives personnelles ou collectives et que d'autres entreprises verront le jour.




APPEL AUX DONATEURS

Pour adresser vos dons de matériel ou en espèces, contacter:
Cendrine Hirt, orthophoniste, Route d'Yverdon 11, 1373 Chavornay, Suisse
Tél/Fax (0041) 24.441.85.44, e-mail: in

o@voyages-humanitaires.info


COLLECTE D'APPAREILS AUDITIFS

Afin de permettre à un plus grand nombre d'élèves de l'ESEDA de bénéficier d'appareils auditifs, nous lançons un appel à toute personn: ateurs seraient également d'un grand secours. Du matériel de nettoyage des embouts est aussi recherché.





DON DE MATERIEL PEDAGOGIQUE ET SCOLAIRE

Pour continuer à équiper l'école, nous recherchons:

- des livres pour enfants (de l'âge préscolaire à l'adolescence)
- des jeux éducatifs
- du matériel logopédique/orthophonique
- des fournitures scolaires (crayons, feutres, stylos, gommes, ardoises, peinture, etc.)
- des livres/jeux en Langue des Signes Française
- des tricotins et des pelotes de laine pour l'atelier couture
- du matériel informatique (ordinateurs, imprimantes, disquettes, etc.)
- des ouvrages professionnels sur la surdité, la logopédie, la rééducation du langage, etc.



Articles déjà parus sur le sujet:

Témoignage: Courrier d'une marraine. Info SOS Enfants sans frontières, No 56, 2ème trimestre 2004.

Voyage humanitaire au Cameroun: Rencontre avec les enfants sourds de Yaoundé. Article paru sur la Page Info "Humanitaire" du site internet d'informations www.fil-info-france.com le 25.04.2004

Voyage humanitaire au Cameroun: Rencontre avec les enfants sourds de Yaoundé. Journal de Vallorbe, No 11 du 19.03.04. Journal de Sainte-Croix, No 26 du 07.04.04. Journal de Cossonay, No 16 du 16.04.04. Journal Le Républicain, Estavayer-le-lac et District de la Broye, No 16 du 22.04.04.

Voyage humanitaire au Cameroun: Rencontre avec les élèves sourds de l'E.S.E.D.A. Aux Ecoutes, No 8, mars 2004, FOROM, Lausanne.

Soutien aux enfants sourds du Cameroun: A la rencontre de Marie-Thérèse. Sourd aujourd'hui, no 1/janvier, pp 8-9 et no 2/février 2004, p. 9, FSS-RR, Lausanne.

Voyage humanitaire au Cameroun: Comment améliorer le quotidien des enfants sourds? Journal des Sourds, no 210/déc. 03-janv. 04, pp 14-15, Les Mains du CRAL, Genève.

A paraître prochainement:

Vivre au rythme des enfants sourds de Yaoundé: Le récit d'un voyage humanitaire au Cameroun. Sourd aujourd'hui, FSS-RR, Lausanne; Journal des Sourds, Les Mains du CRAL, Genève; Connaissances Surdité, ACFOS, Paris.




 
 

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