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-
- POLITIQUE
FRANCAISE
- De
notre correspondant, Pierre
Sagols
La politique
comme un théâtre
« La vie sociale est un
théâtre ». Dès le
XVIe siècle, Shakespeare
voyait déjà
lensemble de la vie
sociale comme une large
mise en scène.
Cest aussi
laffirmation de H.
P. Jeudy , que nous avons
précédemment évoqué.
Ce dernier nest pas
le seul sociologue à
défendre cette thèse.
Ainsi, Erving Goffman
sinterroge sur les
masques que lhomme
porte quotidiennement,
quelles que soient ses
tâches et sa fonction
sociale. Eric Bentley
sintéresse
également à la mise en
scène de la vie de tous
les jours. Les travaux de
Georges Balandier sont
aussi dun grand
intérêt. Ainsi, il
étudie le phénomène
sous un angle politique,
notamment dans son livre
le pouvoir sur scènes
où il compare
lEtat à un «
théâtre dillusion
», et fait référence
à lexpression de
Schwartzenberg qui
parlait « dEtat
spectacle. » «
Théâtre dillusion
», « Etat spectacle »,
ces expressions sont
englobées par le terme
créé par Nicolas
Evreïnoff : la «
théâtrocratie », terme
employé ensuite par
Balandier. Homme de
théâtre, Evreïnoff a
établi une thèse à
partir de son expérience
personnelle de metteur en
scène et de comédien,
et après une longue
réflexion sur la
société en général.
Il y traduit la
sociologie en terme de
théâtre et donne une
interprétation
théâtrale à toute
manifestation de la vie
sociale. Si la thèse
exprimée nest pas
dénuée dun
certain intérêt, le
terme créé - «
théâtrocratie » -
attire particulièrement
notre attention. Il
sagit du pouvoir du
théâtre et des masques,
des représentations et
des apparences. Or, le
pouvoir appartient aux
plus apparents, comme le
précise Jean-Marie
Cotteret dans son ouvrage
Gouverner cest
paraître : « De tout
temps, les plus apparents
ont occupé le devant de
la scène politique,
économique, mais aussi
littéraire ou
religieuse. » Il
explique également que
ces hommes deviennent les
plus apparents grâce à
leur capacité à
communiquer, et non
grâce à leurs mandats.
Communiquer, en
politique, ce nest
pas obligatoirement
sexprimer sur un
sujet précis. Ça peut
être aussi la manière
dont on se met en scène,
cest-à-dire la
représentation. Cette
dernière est créatrice
dimages. Or, les
hommes politiques sont
souvent élus en fonction
dune image
quils renvoient, et
non en fonction dun
programme. Alors, si le
but est de donner la
meilleure image de soi,
le discours accompagnant
cette image doit être le
plus séduisant possible.
Et dans la majorité des
cas, les paroles sont
enjolivées, la réalité
y est volontairement
oubliée, modifiée ou
déformée. Le discours
relèverait donc du
mensonge ou parfois de
lhypocrisie. «
Hypocrisie » est
dailleurs un mot si
banal que sa racine a
été occultée. Il
provient en effet
dun terme grec qui
signifie « jeu
dacteur ». Par
conséquent, lhomme
politique serait un
acteur, et la politique
un théâtre.
Nous pouvons aisément
comparer le monde du
théâtre à celui de la
politique pour étudier
sil y a des
similitudes entre eux.
Analysons alors leurs
champs lexical et
sémantique, les mots
donnant un nom à toute
chose, ce nom donnant
lui-même un sens et une
fonction. Les noms, leurs
fonctions et leurs sens
sont-ils semblables ?
Avant tout,
intéressons-nous au
terme « scène ». Il
sagit de la partie
du théâtre où jouent
les acteurs. Mais il
sagit également de
laction dans une
pièce de théâtre.
Cest cette
dernière définition que
nous retiendrons. Une
scène, cest une
action. La scène
politique désigne le
monde politique en
action, tout comme la
scène théâtrale
représente le monde du
théâtre. Sont
concernés alors tous les
acteurs dun domaine
particulier: acteurs
politiques, acteurs de
théâtre, etc.
En politique, comme en
théâtre, il existe une
hiérarchie plus ou moins
bien établie. Les
différents acteurs,
quils appartiennent
au monde du théâtre ou
au monde de la politique,
nont pas la même
valeur, ni la même
importance. Pour chaque
pièce de théâtre ou
pour chaque film, il y a
ce que lon appelle
couramment « une tête
daffiche ».
Cest le comédien
sur lequel reposent
lintrigue et le
spectacle. Son nom est
inscrit en grands
caractères sur
laffiche qui
présente la comédie. Il
est forcément vu avant
le nom des autres
acteurs. La tête
daffiche joue le
premier rôle. Parfois,
il arrive que cette
personne soit un acteur
encore méconnu, mais si
le spectacle est de
qualité et quil
rencontre un certain
succès, il est appelé
alors à devenir un grand
acteur. Mais le plus
souvent, il sagit
dun comédien de
premier plan, voire
dune vedette.
Quelques fois,
familièrement, on dit de
cette personne
quelle est un
ténor. A ses côtés,
dautres acteurs
sont présents.
Dune part, il y a
ce que lon appelle
des seconds rôles. Ils
sont constitués de
comédiens, célèbres ou
non, qui secondent
lacteur principal,
lui donnant la réplique.
Mais le jeu ne repose pas
trop sur eux, ce sont des
personnages moins
importants que la tête
daffiche.
Dautre part, il y a
les figurants qui sont
généralement les plus
nombreux. Peu connus, ces
acteurs ont un rôle peu
important, fréquemment
muet. Souvent, ces gens
ne sont pas des
professionnels.
Or, cette hiérarchie,
décrite grossièrement,
peut sappliquer au
domaine politique.
Prenons lexemple
dune campagne
électorale: nous pouvons
comprendre alors
lorganisation
dun parti. En
général, il y a des
listes électorales.
Lhomme politique
dont le nom y est inscrit
en premier est appelé «
tête de liste ».
Cest la
personnalité politique
la plus importante de
cette liste, ou en tout
cas, celle qui
simpliquera le plus
dans son programme et son
action. Il représente
son parti dans
lélection
concernée, et occupe le
devant de la scène.
Souvent, il sagit
dun acteur
politique de premier
plan, une vedette
politique si
lélection en
question constitue un
enjeu important. Dans ce
cas-là, nous pouvons
parler de ténor
politique.
« Tête de liste » et
« tête daffiche
» sont des expressions
où le terme tête revêt
un triple sens. Tout
dabord, celui de «
premier rang », de «
leader » : lhomme
est à la tête de la
pièce, du film ou du
parti. Ensuite, il est
synonyme de « début »,
de « commencement » :
son nom est en tête de
laffiche ou de la
liste. Enfin, il admet le
sens de « partie
supérieure » : le nom
de lacteur
politique ou théâtral
est inscrit sur la partie
supérieure de la liste
électorale ou de
laffiche.
Sur la liste électorale,
les noms qui suivent
celui de la tête de
liste correspondent à
des acteurs politiques de
second plan, ou parfois
à des vedettes
politiques qui jouent,
pour loccasion, un
rôle de second. Dans ce
dernier cas, ces hommes
politiques soutiennent
une liste en lui
apportant leur
célébrité, leur
renommé et peut-être de
la crédibilité. Un peu
à la manière dune
« guest star », ces
grandes vedettes de
cinémas qui jouent un
rôle mineur dans un
film, et dont le nom
figure parmi les
principaux sur
laffiche. En
politique, nous
retrouvons également des
figurants: ce sont les
militants. Ils demeurent
en retrait, mais leur
présence est
primordiale, notamment
pour faire vivre le parti
au plus petit échelon,
et pour participer à son
financement. Un parti
politique ne peut exister
sans ses militants. Un
film ne peut paraître
vraisemblable sans ses
figurants. Les militants
sont des adhérents
dun parti, mais ne
sont pas obligatoirement
des professionnels de la
politique. Même
sils participent
activement à la vie de
leur parti, leur rôle
est peu spectaculaire.
Ils ne parlent pas
beaucoup, du moins dans
les médias. A
linstar des
figurants, nous pouvons
les considérer comme
muets pour le public.
Le public constitue un
autre point commun entre
le théâtre et la vie
politique. Le théâtre
et le cinéma sont des
arts audiovisuels. Pour
être vu et entendu, une
pièce ou un film a
besoin dun public.
Il est la condition sine
qua none à
lexistence
dun spectacle. Le
but de ce dernier étant
dêtre regardé et
écouté, sans
spectateur, il na
pas lieu dêtre.
Rappelons la définition
du théâtre: « Le
théâtre est lart
de représenter devant un
public une action
dramatique ». Le public
participe au succès
dune pièce ou
dun film, plus que
sa vraie valeur et plus
que la critique. Dans la
mesure où elle fabrique
des images, la politique
peut être considérée
aussi comme un art
visuel. La télévision
est dailleurs le
support médiatique
privilégié par les
hommes politiques. Mais
la politique est aussi un
art auditif
puisquil
sagit
dentendre un
message. La radio est un
moyen de communication
politique très
fréquemment utilisé. Il
est évident que le
public joue un rôle
primordial dans la vie
politique. Les images,
messages et autres
discours lui sont
destinés. Sans «
spectateurs-électeurs
», les hommes politiques
néprouveraient pas
le besoin de communiquer,
et nous
nassisterions pas
à tout ce jeu qui
sorganise autour
deux.
Par ailleurs, jeu de
scène et jeu politique
se déroulent de la même
manière. Le débat
politique, par exemple,
met généralement en jeu
deux hommes politiques
qui saffrontent par
idées interposées, qui
sopposent par la
parole. Ce procédé
nest pas sans
rappeler les joutes
verbales dans les
théâtres ou les
spectacles de rue: deux
comédiens
saffrontent avec le
texte pour seule arme.
Aux Etats-Unis, ce sont
les rappeurs qui
utilisent ce système,
comme échappatoire à la
violence physique. Autre
exemple, celui des
meetings politiques. De
façon générale, ils
sont semblables à de
grands spectacles,
notamment ces festivals
musicaux, très
fréquentés en été. Si
le meeting est la
représentation
dune seule
personne, il se rapproche
de la conférence de
presse, en plus
spectaculaire. Nous
pouvons alors comparer ce
spectacle à ce que
lon appelle,
désormais couramment, un
« one man show ». Une
vedette est alors sur
scène, seule face au
public, et anime le lieu
de son talent de comique
- ou dhomme
politique. En théâtre
et en politique, les
modes dexpression
employés sont donc
identiques.
Lorganisation y est
similaire: la scène, les
spectateurs, les
orateurs, les décors, le
son, la lumière. De
même,
larchitecture des
bâtiments - lieux
dexpression
théâtrale ou lieux
dexpression
politique - est
également semblable dans
les deux cas. Par
exemple,
lhémicycle
parlementaire et les
salles de théâtre
classiques sont des
amphithéâtres.
Bien entendu, plus la
scène est grande, plus
le public est nombreux,
et plus le spectacle est
intense. Les vedettes
politiques se cantonnent
à la scène nationale,
à moins quelles ne
jouent le rôle principal
dans une grande ville.
Les acteurs politiques de
second plan trouvent leur
place dans les villes
moyennes, alors que
certains figurants sont
à la tête de petits
villages. Quant aux
conseils régionaux et
généraux, ils sont
fréquentés par les plus
importants acteurs
politiques de la Région
ou du Département. En
fait, quelle que soit
léchelle à
laquelle nous observons
la vie politique, nous
retrouvons les mêmes
catégories. Mais tout
devient surdimensionné
à mesure que
léchelle grandit.
En ce qui concerne le
public, à
léchelle
communale, il est
englobé par celui de
léchelle
supérieure, et ce
exponentiellement
jusquà
léchelle
internationale.
Si l'homme politique est
un acteur, on comprend
mieux pourquoi certaines
vedettes du grand écran
se sont lancer dans la
vie politique, surtout
outre Atlantique. En
France, ce n'est pas
encore un phénomène
répandu, mais qui sait,
en 2007, nous pourrions
avoir une surprise.
Alors, Delon président ?
Pierre Sagols
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