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De notre correspondant au Cameroun, Jean-Paul Marius OWONA FOUDA


Discours du président Paul Biya à l'ouverture de la conférence internationale sur les défis et les atouts de l’Afrique, Africa 21
- 19 mai 2010


Discours Paul Biya conference Africa 21
Copyright 2010 Jean-Paul OWONA-FOUDA


Discours d'ouverture du chef de l'état camerounais son excellence Paul Biya ce 18 mai au palais des congrèsde Yaoundé à l'occasion de l'ouverture de la conférence internationale "Africa 21" .

Excellences, Mesdames, Messieurs,

C’est un honneur, et aussi un grand plaisir, pour moi d’accueillir à Yaoundé, au nom du peuple camerounais, tant d’éminentes personnalités qui exercent ou ont exercé de hautes responsabilités au sommet de l’Etat, dans la politique, les sciences humaines, la culture, l’action humanitaire et bien d’autres domaines.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Je vous souhaite une chaleureuse bienvenue au Cameroun et espère que votre séjour à Yaoundé sera des plus agréables.

Les hasards de l’Histoire ont fait que, le 1er janvier 1960, le Cameroun ait ouvert la série des indépendances pour 17 pays africains. Nous avons donc pensé qu’à l’occasion de l’année du Cinquantenaire de l’accession de ces pays à la souveraineté, il serait peut-être opportun de faire le point de la situation de notre continent et de jeter un regard prospectif sur ses chances pendant les prochaines décennies.

Bien entendu, nous n’ignorons pas que d’autres nous ont précédés dans la marche vers la liberté. Proches de nous, le Ghana et la Guinée. Au nord du continent, ceux qui avaient connu le protectorat. Et aussi ceux qui, bien que restés formellement souverains, avaient dû se soumettre.

Chez aucun d’entre eux, une nuit coloniale d’à peine un siècle n’avait effacé le souvenir des royaumes du Maghreb, des grands empires de l’Afrique subsaharienne, ni celui des civilisations antiques du Sahel ou de la haute vallée du Nil dont on ne peut plus contester l’africanité.

Est-il besoin de rappeler, pour compléter cette toile de fond, le désastre de l’esclavage et cette lente aliénation que fut la colonisation ?

Puis vint l’INDEPENDANCE.

Les historiens débattront probablement longtemps encore pour savoir si cette indépendance, qu’elle ait été conquise, concédée, négociée, suivant les cas, était ou non authentique, puisque dans nos esprit subsistaient des modes de pensée, des comportements, voire des moyens d’expression, qui n’étaient pas originellement nôtres. Mais viendrait-il à l’esprit de quiconque de contester l’authenticité des civilisations européennes, lointaines héritières d’Athènes et de Rome ?

L’important est ailleurs. Nous étions indépendants parce que nous voulions être indépendants.

Posons plutôt la vraie question. Qu’avons-nous fait de notre indépendance ?

Nous avons dû commencer par construire nos Etats. Ce ne fut pas facile. Nos cadres étaient peu nombreux et inexpérimentés. Avec nos étudiants, retour de l’étranger et les premières promotions de nos écoles de formation, nos administrations ont progressivement pris corps. Il nous a fallu constituer une armée et des forces de police dans un contexte souvent tendu. Et aussi une diplomatie pour faire nos premières armes sur la scène internationale.

En partant de la base, nous avons étendu notre système scolaire en remontant vers le haut, jusqu’aux universités, inexistantes au début du processus. Nous avons également commencé à mettre en œuvre un système de santé encore embryonnaire.

Pour la plupart de nos pays, l’économie, tournée vers les cultures de rente et orientée vers les anciennes métropoles, était un monde que nous ne maîtrisions pas. Le crédit était aux mains de banques étrangères. L’immense majorité de nos populations était cantonnée dans l’économie de subsistance et dans l’informel. Ce n’est que peu à peu qu’elles ont pris pied dans les cultures d’exportation, le commerce et la petite entreprise. Notre apprentissage de l’économie, nous l’avons fait dans les sociétés publiques, avec les vicissitudes que l’on sait.

Des tâtonnements, bien sûr. Des erreurs, sans doute, nous en avons faits. Mais pouvait-il en être autrement ? J’ai invoqué l’impréparation, l’inexpérience. J’aurais pu arguer de la faim, des pandémies, de la guerre civile, des pressions extérieures et même de la corruption pour justifier nos échecs. Nous préférons les assumer et dire : « nous avons fait de notre mieux ».

D’ailleurs, peut-on parler d’échecs ? Car si l’on veut bien y réfléchir, nous avions pour la plupart d’entre nous hérité d’immenses territoires, sans unité géographique, sans homogénéité ethnique, sans cohésion culturelle, sans uniformité linguistique. Et les uns et les autres, de puzzles disparates, nous avons fait ce que de vieilles nations ont mis des siècles à accomplir.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Vous me pardonnerez, je l’espère, ce bref retour passionné en arrière qui n’avait d’autre but que de relativiser les idées reçues sur le développement de l’Afrique depuis les indépendances.

Depuis « l’Afrique noire est mal partie » de René DUMONT, les prétendus échecs des coopérations bilatérales, la remise en question des modèles de développement des organisations internationales, la critique systématique de l’ajustement structurel, que n’a-t-on pas entendu sur le mal développement de notre continent ! Au point de ne plus savoir à quel saint se vouer.

La mondialisation a, un temps, entretenu l’espoir d’un décollage de nos économies. A condition de ne pas se laisser marginaliser, nous disait-on. Mais les vieux démons ont vite resurgi : la dégradation des termes de l’échange, la concurrence déloyale des subventions, la décroissance de l’aide publique, etc. La crise économique et financière a fait le reste : baisse des cours de nos matières premières, chute de nos exportations, report des investissements étrangers, avec les conséquences que cela implique.

Il ne pouvait en être autrement puisque les règles de nos relations avec le monde industrialisé n’avaient pas vraiment changé. Nous restions en marge de l’économie mondiale. Nous demeurions des fournisseurs de pétrole, de matières premières, de produits de rente dont nous ne maîtrisions pas les cours. De plus, les coûts de nos importations ne cessaient d’augmenter, comme ceux des transports, du crédit, etc.

Comment dans ces conditions assurer notre développement ? Comment construire nos infrastructures, routes, barrages, centrales ? Comment exploiter nos mines, lancer nos grands projets agricoles et agro-industriels ? Bref, comment moderniser nos pays et les sortir du ghetto économique où ils étaient confinés ?

Un espoir est né avec l’entrée en scène des pays émergents. Timidement d’abord, ils se sont ensuite enhardis et offrent désormais des solutions adaptées à nos besoins et à nos moyens. Bien entendu, l’idée n’est pas de remplacer systématiquement les uns par les autres mais tout simplement de résoudre les problèmes qui nous sont posés au mieux de nos intérêts.

Pendant longtemps, nous avons cru à l’avènement d’un nouvel ordre économique mondial qui permettrait à l’Afrique de s’insérer dans la globalisation et de trouver ainsi sa voie pour sortir de la pauvreté. Nous essayons d’y croire encore, car nous pensons qu’il n’y a pas d’autre véritable issue qu’une régulation de l’économie à l’échelle mondiale, prenant en compte une nécessaire solidarité avec les plus démunis.

Mais nous avons compris que, dans le meilleur des cas, cela prendra du temps. En attendant, l’Afrique est déterminée à avancer. Elle espère qu’à côté des moyens qui sont les siens, de ceux des nouveaux acteurs de l’économie, elle pourra continuer à compter sur le soutien des partenaires qui l’ont assistée depuis l’indépendance.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Après ce long détour, j’en arrive à ce qui nous réunit aujourd’hui.

La commémoration des indépendances africaines est, je crois, une bonne occasion pour tenter de répondre à l’interrogation formulée dans le thème central de cette Conférence : « l’Afrique, une chance pour le monde. Réalités et défis ».

Après avoir été longtemps décrite comme le continent de la pauvreté et de l’immobilisme, l’Afrique se voit aujourd’hui reconnaître certains atouts. Nous ne nous interrogerons pas sur ce revirement. Contentons-nous de dire qu’elle est incontestablement riche en ressources minières, en capacités énergétiques, en potentialités agricoles et qu’à terme sa démographie, actuellement un handicap, pourrait devenir un avantage. Le problème sera, bien entendu, de savoir comment tirer parti de ces atouts.

L’un des obstacles sur lequel notre continent a souvent buté –et bute encore– pour mettre en valeur ses ressources a été celui du financement. Il reste l’un des plus difficiles à surmonter. Ce n’est pas tant, semble-t-il, les possibilités de financement qui font question que la viabilité des projets et les garanties qui peuvent être apportées aux investisseurs. Il sera intéressant d’examiner les conditions dans lesquelles des solutions praticables pourraient être trouvées à ce problème dans le cadre de partenariats mutuellement avantageux.

Il est évident que, dans ce domaine comme dans d’autres, les chances de notre développement sont étroitement conditionnées par la bonne gouvernance sous tous ses aspects. La mauvaise gestion des finances publiques, l’insécurité judiciaire, les lenteurs administratives, pour ne pas parler de la fraude douanière et de la corruption, si fréquentes en Afrique, doivent être systématiquement combattues. Bien qu’elles soient le plus souvent clairement identifiées, elles sont particulièrement difficiles à éliminer, car profondément enracinées dans les comportements. Nous devons savoir qu’aussi longtemps que nous n’en serons pas débarrassés, nos efforts de redressement resteront aléatoires.

D’autre part, depuis la montée du terrorisme, l’apparition de la piraterie et le développement du grand banditisme, l’insécurité a pris un autre visage sur notre continent. Aux « guerres civiles », qui opposaient des factions politiques entre elles ou des rebelles aux pouvoirs en place, heureusement désormais moins fréquentes, a succédé une instabilité plus insidieuse et plus imprévisible. Or, nous savons bien que les désordres, quels qu’ils soient, font mauvais ménage avec la démocratie et le développement. Si nous voulons préserver l’une et l’autre, il est de notre haut intérêt de trouver entre Africains, par la concertation, au niveau régional ou continental, des arrangements nous permettant de combattre ces phénomènes meurtriers, autrement qu’en ordre dispersé.

Personne ne conteste non plus que l’Afrique n’est pas suffisamment représentée aux niveaux où sont prises les décisions qui engagent l’ensemble de la planète. C’est notamment le cas à l’ONU, et en particulier au Conseil de Sécurité, où les pays africains ne peuvent accéder qu’en tant que membres non permanents. Le problème de la réforme du Conseil a été soulevé depuis longtemps mais n’a toujours pas été résolu. Il serait équitable que l’Afrique y dispose d’au moins un siège suivant un mode de représentation à arrêter entre Africains. On peut par ailleurs se féliciter que l’Afrique du Sud fasse désormais partie du G20 mais ne serait-il pas normal qu’un pays africain en développement puisse l’y accompagner ?

La même observation pourrait être faite s’agissant d’autres domaines où l’Afrique a souvent le sentiment d’être encore tenue en tutelle. Il me paraît que cela n’est pas acceptable aux yeux des Africains qui en ressentent une certaine frustration mais ne devrait pas l’être non plus pour le reste du monde qui ignore ainsi nos aspirations et nos virtualités.

Après tout, à cinquante ans, nous sommes majeurs !

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Ce sont là quelques pistes que vous explorerez peut-être, parmi d’autres, au cours de vos travaux. Je ne saurais trop vous remercier d’avoir accepté de vous associer à cet exercice de réflexion collective. Je crois sincèrement que le jeu en vaut la peine.

J’ai en effet la conviction que vos échanges pourraient contribuer à l’élaboration d’un vaste programme d’intégration de l’Afrique dans les affaires du monde. « Terre baignée de sang et de larmes » au cours des siècles, elle y a moralement droit. Riche de ses ressources naturelles et de la vitalité de ses peuples, elle y a sa place.

Je vous remercie de votre aimable attention.




Jean-Paul Marius OWONA FOUDA




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