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De notre correspondant
Raymond ARDISSON



L'épuration dans les Alpes maritimes (1944-1945) - 9 décembre 2011


Peu de temps après le début du Régime de Vichy, et le vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 Juillet 1940, une "épuration"commence, qui va concerner les communistes, les Israélites touchés par le statut des Juifs, et les francs-maçons chassés des emplois publics et qui verront leurs noms publiés dans la presse. Un peu plus tard ce sera au tour des premiers résistants, ceux que l'on appelait alors les "terroristes".

D'une épuration à une autre, pourrait-on écrire. Après le départ de l'occupant et la libération du territoire national, une épuration toute aussi officielle que celle instaurée par l'état français va débuter. Comme la précédente elle va toucher tous les secteurs d'activité et toutes les couches de la société, et en premier lieu les représentants les plus directs de l'Etat français, son chef emblématique, le Maréchal Pétain, condamné à mort et qui sera gracié par le Général de Gaulle, ce qui ne sera pas le cas de son premier ministre Pierre Laval ou de Joseph Darnand, le chef de la milice.

Le tribunal militaire, la Cour de justice, et la Chambre civique, constituent les trois tribunaux ayant en charge l'épuration officielle. Ces tribunaux légalement constitués avec procureurs, juges et avocats, prononcent de nombreuses sentences, prison ou condamnation à mort. Ainsi à Nice pour César Fiorucci, accusé de complicité dans l'assassinat de deux résistants, ou Rose Duclos, dénonciatrice auprès de la Gestapo. Mais vont s'ajouter également des tribunaux semi officiels qui arrêtent à tours de bras, et fréquemment à l'aveuglette, des tribunaux sommaires F.F.I, F.T.P, 18e brigade mobile, sécurité militaire, auxquels il faut ajouter aussi la police d'épuration du C.D.L. Chacun de ces organismes a sa brigade d'intervention. Dans notre région, trois semaines après le départ de l'occupant, on évalue à environ 2000 le nombre de personnes arrêtées. Elles s'entassent dans les casernes et hôtels réquisitionnés où les conditions d'hygiène sont lamentables.

Tout comme dans les autres départements, les principaux responsables des services allemands, les dirigeants des mouvements collaborationnistes, les Francs-gardes, branche en uniforme armée et agissante de la milice, se sont éclipsés dans les premiers jours qui ont suivi le débarquement, assez vite ne restera plus à appréhender que les petits collaborateurs, les membres les moins compromis des mouvements fascistes, et puis les bavards impénitents, ou des suspects qui n'ont pas grand chose à se reprocher.

Dans leur ordre du jour, numéro 2 diffusé le lendemain de la libération de Nice, les F.T.P annoncent leur intention "de faire une épuration énergique de tous les salopards connus"; on ne saurait être plus clair. Ils seront aidés en cela par le journal "l'Ergot", organe communiste, véritable "pousse au crime". Le Parti Communiste Français est d'autant plus implacable dans sa politique générale d'assassinat, de vengeance et de règlements de comptes, qu'il cherche à masquer sa propre collaboration avec les Allemands au début de l'Occupation, aux beaux jours de la politique du Pacte germano-soviétique.

Prévoyant ces excès, le nouveau préfet Maurice Moyon, connu pour ses opinions anti-communistes, demande la participation des troupes américaines au maintien de l'ordre afin de limiter les excès prévisibles. Les communistes majoritaires dans le C.D.L., craignant d'être dépossédés de leur responsabilité policière, font appel à Raymond Aubrac, Commissaire régional de la République qui accepte de nommer un nouveau préfet ; ce sera Paul Escande proche du P.C. Il n'y a donc plus d'obstacle à une épuration aussi sauvage que radicale que l'intervention américaine aurait pu freiner. Ces opérations sont exécutées par de petits groupes peu regardant sur la culpabilité des victimes, composés de résistants authentiques, d'autres de la dernière heure, et de toute une faune, pègre de toutes les époques d'exception qui rançonne, pille et se remplit les poches. On exécute d'une balle dans la nuque ou d'une rafale de mitraillette, souvent sans prendre la peine d'un simulacre de jugement. Les premières victimes seront les Italiens, souvent naturalisés d'ailleurs, et habitant quelques fois notre région depuis longtemps. La communauté italienne de Nice et de la côte fera les frais de l'épuration, qu'elle soit officielle ou sauvage, en relation avec les événements proches de l'Occupation. Quelques exemples parmi d'autres : les exécutions de M. Rismini, entrepreneur de maçonnerie italien naturalisé français : M. Romeo, commerçant marié à une française, accusé de méfaits qui s'avéreront imaginaires. À Lingostière, des hommes armés et masqués se présentent de nuit chez M. Charles Calza et l'abattent avec son fils.

Tout comme durant la guerre d'Espagne, les religieux sont particulièrement visés par les communistes. L'abbé Bianco est sauvé de justesse sur l'initiative de Monseigneur Raimond, son seul tord, avoir été l'aumônier des troupes italiennes. Un envoyé de l'évêque de Nice sauvera aussi de justesse les sœurs italiennes de la communauté de St Anne, que les F.T.P. veulent tondre et faire défiler nues dans la rue, alors que cette communauté dévouée au secours des malheureux existe à Nice depuis plus de 150 ans. Comme dans la France entière, des femmes sont tondues ou bien pire, accusées de "collaboration horizontale". On a pu voir des documents à la télévision sur ces exactions aussi lâches que lamentables sans qu'il soit nécessaire d'y revenir ici. Mais notons tout de même que dans les grandes villes comme Paris, les souris grises, nommées ainsi à cause de la couleur de leur uniforme, ces auxiliaires militaires allemandes, secrétaires, employées, téléphonistes, ont souvent succombé au charme de nos compatriotes. Y a-t-il eu le moindre reproche à ces derniers ? Evidemment pas. C'était même très bien vu de "se taper une boche", presque un acte de résistance en quelque sorte.

L'épuration sauvage ne frappe évidement pas que les ressortissants italiens, encouragée par la presse communiste, dont L'ergot qui communique à pleines pages des listes de noms et adresses de supposés suspects, on exécute ; on élimine ainsi quelques fois un rival en affaires, ou sur le plan sentimental, voire pour le voler. On rançonne, on réclame de fortes sommes pour échapper à l'exécution, et puis souvent après on exécute quand même. Un gang d'épurateurs spécialisés dans l'exécution avec demande de rançon est découvert, avec pour chef un inspecteur de police. Et puis il y a les disparitions, on ne retrouvera jamais M. Luc Berger, propriétaire de la Taverne Alsacienne, M. Chamard, gérant du Chic Hôtel, et d'autres.

Dans la vallée de la Vésubie on retrouve, en septembre 1944, le corps du docteur Gomez, on voulait le rançonner de 100.000 francs, on l'exécute parce qu'il était le médecin du S.T.O., poste qui lui avait permis de sauver en 1943 8O75 hommes que l'Office de placement allemand voulait envoyer en Allemagne.

Quelquefois les loups se mangent entre eux. Plusieurs résistants de Nice et des Alpes Maritimes seront exécutés par leurs compagnons de lutte. Le fait n'est pas contestable, exemplaire est le cas de Maurice Charton : mobilisé dans l'aviation en 1939, démobilisé il rejoint la résistance, il est arrêté à Nice par les autorités italiennes et déporté au camp de Savone près de Gènes, il s'en échappe, revient à Nice où sont maintenant les Allemands, la Gestapo le recherche, il rejoint les F.F.I. et sert au 2e bureau. Son corps sera retrouvé en 44 dans le Haut-pays. D'un semblant d'enquête vite avortée il semble qu'il aurait été abattu par des résistants parce qu'il était un témoin gênant. De quoi ? On peut en avoir une idée après le débat très tardif du C.D.L. en 1947 sur les pillards-profiteurs dans certains milieux de la résistance. Pendant la période trouble qui a suivi la Libération, d'importantes sommes d'argent et des valeurs ont été "réquisitionnées"par des hommes appartenant à différents groupes ou des isolés. La commission du F.F.I. trouvant sans doute que cela allait peut-être trop loin, ce qui est le moins que l'on puisse dire, avait voulu enquêter sur le cas du commandant M., résistant revenu du maquis et qui avait trouvé plus rentable et moins risqué de se spécialiser à Monaco dans l'arrestation de personnes très riches, telle l'actrice Mireille Ballin, à qui avaient été dérobés 20 millions de bijoux, mais ils durent vite clore leurs investigations.

On ne peut terminer la première partie de cet article, consacré à l'épuration dans les Alpes Maritimes, sans évoquer un des événements les plus graves intervenus dans notre département durant cette période. Le 24 septembre 1944, des F.T.P. qui effectuent une patrouille dans le quartier de la Régence, à Antibes, interpellent pour vérifications un passant qui déclare ne pas avoir ses papiers sur lui, proposant qu'on l'accompagne à son appartement où il pourra prouver son identité. L'un des hommes, Demiquelis, le suit. Ils pénètrent tous deux dans l'appartement où éclate un incident encore aujourd'hui mal éclairci, et qui va déclencher un drame lourd de conséquences. Il semble que Demiquelis qui portait un foulard lui dissimulant le visage - ils étaient donc masqués ce qui est pour le moins curieux - ait cru que son vis-à-vis voulait le lui retirer, il tire, le tuant sur le coup. Dehors, ses camarades le supposant en danger tirent à travers les volets, tuant leur camarade et deux parents de l'interpellé dont un enfant de 12 ans.

Pour venger celui qu'ils ont pourtant tué eux-mêmes, les F.T.P. partent au Fort Carré pistolet au poing, braquent les gardiens et font sortir de leurs cellules dix "collaborateurs"en instance d'être libérés, vu l'absence ou le peu de charges retenues contre eux. Parmi ceux-ci Georges Borel, personnalité d'Antibes qui s'est, dans un passé proche, entremis pour faire libérer des personnes arrêtées par l'occupant et qui a caché des Juifs dans sa clinique. Un photographe Biondo, totalement étranger à la politique et dont le seul tort était d'être italien, un horloger Aimar, confondu avec un homonyme, et une jeune fille de 16 ans, Carmen Raveu, dont l'unique compromission avait été d'aider son père à vendre un journal politique favorable à la collaboration. Tous les journaux politiques durant l'Occupation sont alors à des degrés divers favorables à la collaboration, les autres sont interdits ou paraissent clandestinement. Dix otages, dont deux jeunes filles choisies au hasard et copieusement battues avant d'être conduites sur le lieu de leur exécution. Un témoin incarcéré décrira plus tard dans un livre de souvenirs(1) le terrible spectacle qu'il a vu à travers les barreaux de sa cellule : "On les pousse, battus, ensanglantés, semant la terreur parmi tous les prisonniers à la vue de ces faces devenues la plupart méconnaissables", et puis ce sera le bruit sinistre des rafales de mitraillettes.

Ce tragique épisode va rebondir 63 ans plus tard. De fin 2OO7 à juillet 2008 ce ne sont pas moins de 5 articles que le journaliste Éric Farel va consacrer, dans Nice-Matin, à cette tragédie suite au projet des familles des victimes de vouloir apposer une plaque sur leur lieu d'exécution, devant l'entrée du Fort Carré, avec un texte très sobre : "Ici le samedi 23 septembre 1944 au matin 10 Antibois, 8 hommes et 2 femmes, ont été fusillés sans jugement. Cette exécution sommaire a été une tragédie pour notre ville". Désireuses de lui exposer leur projet, ces familles attendent d'être reçues par le député-maire Jean Leonetti depuis… 3 ans.

Sur l'ensemble du territoire national, combien de victimes de cette épuration sauvage ? Un journaliste américain du Chicago tribune donne en 1947 le chiffre de 50.000 dans le seul Sud-Est de la France. Au début de 1945, le ministre de l'Intérieur Adrien Texier parle de 100.000 exécutions hors tribunaux légaux sur l'ensemble du territoire. Par la suite certaines préfectures vont publier quelques chiffres, mais aujourd'hui encore le sujet est tabou et le nombre exact de ces exécutions, souvent accompagnées de tortures, de viols et de pillages, restent inconnus.


(1) "J'ai choisi la prison"- Paul Frantz Namur (Edition à compte d'auteur)
F.F.I. : Forces Françaises de l'Intérieur
F.T.P. : Francs-Tireurs Partisans
S.T.O. : Service du Travail Obligatoire
C.D.L. : Comité De Libération
Sources : Henri Amouroux : "La grande histoire des Français sous l'Occupation, Tome 9 : les règlements de compte 1944/1945"(Editions Laffont)
Philippe Bourdrel : "L'Epuration sauvage"(Editions Perrin)
Peter Novick : "L'Epuration française"(Editions Balland)
Henri Coston : "Le livre noir de l'Epuration française"(Éditions Lectures françaises)
Journal Nice-Matin : 28 novembre - 10 décembre 2007 - 10 janvier 2008



Raymond ARDISSON


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