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RUBANS
DU PATRIMOINE - 10
septembre 2006
Labarthe-Bleys
(85 habitants) fait
revivre le passé de ses
lavandières
Associée à la
Fédération française
du bâtiment, Dexia
Crédit local et
l'Association des maires
de France, la Fondation
du Patrimoine a décerné
un prix national à la
plus petite commune
jamais primée au cours
des douze années
d'existence du concours
"Les rubans du
Patrimoine".
L'événement méritait
bien un détour !
Labarthe-Bleys,
département du Tarn. Une
minuscule localité de 85
habitants, difficile à
identifier sur la carte.
Non loin de la très
célèbre et très
touristique cité de
Cordes-sur-Ciel, cette
commune prend quand même
ses aises en s'étendant
sur quelque 1 000
hectares de terres
agricoles. Deux hameaux
jumelés : Labarthe, avec
ses maisons
traditionnelles, dont
certaines, menaçant
ruine, sont en cours de
réhabilitation, et
Bleys, qui peut justement
s'enorgueillir d'abriter
un château (privé) et
l'élégante église
Saint-Hilaire, de style
gothique, également en
cours de restauration.
Sur les hauteurs, un
troisième hameau n'a pas
eu droit à figurer dans
l'appellation de la
localité : la Treyne.
C'est pourtant lui qui a
reçu récemment les
honneurs des experts en
patrimoine bâti.
Dans ce coin reculé et
verdoyant qui pourrait
faire saliver d'envie
tous les banlieusards en
mal d'oxygène, la vie
suit son cours, paisible,
accaparée par les
réalités de la terre.
Pas le moindre commerce
en vue. Ni école, ni
café, ni restaurant, ni
arrêt de bus. Juste
quelques gîtes ruraux.
En plus de la polyculture
(céréales, soja...),
les paysans se sont
spécialisés dans
l'élevage des vaches et
des moutons. Bref, la
France
"profonde". La
vraie !
Un devoir de mémoire
Outre les affaires
courantes qui sont le
lot, parfois ingrat, de
tout édile de France et
de Navarre, Colette
Bouyssou, maire de
Labarthe-Bleys, et les
membres du conseil
municipal ont entrepris
récemment de
s'intéresser aux
vieilles pierres. Pas
n'importe lesquelles,
bien évidemment ! Celles
qui font partie de
l'histoire de leur
village.
En 2000, le gros oeuvre
de l'église
Saint-Hilaire a fait
l'objet d'une première
vague de travaux :
réfection de la toiture
pour la mise hors d'eau,
consolidation du
clocher-mur, aménagement
du porche... « Il nous
reste à poursuivre,
précise Rémy Cougoule,
premier adjoint au maire.
Les peintures murales,
notamment, méritent une
sérieuse restauration.
Mais le budget
suivra-t-il ? Les petites
communes, telles que la
nôtre, ne peuvent pas
faire face toutes seules
à de tels projets. »
Il n'empêche que,
derrière le discret
sourire de Colette
Bouyssou, il n'est pas
difficile de percevoir
toute la détermination
qui l'anime: « Je
m'accroche aux choses
anciennes,
reconnaît-elle le plus
simplement du monde, car
elles font partie de
notre histoire, de notre
mémoire. Les décisions
que nous avons prises en
vue de redonner vie à
certains lieux publics
plus ou moins délabrés
n'ont pas nécessairement
reçu, au point de
départ, l'unanimité des
membres de notre conseil
municipal. Nous vivons
ici en milieu paysan,
traditionnellement
habitué à raisonner en
termes de rendement et
bénéfice immédiats.
Mais maintenant que le
passé de la commune
commence à revivre à
travers des sites déjà
remis en état ou en voie
de l'être, nous sommes
proches du consensus.»
Ainsi en fut-il du lavoir
de la Treyne. Il fallait
avoir la foi bien
chevillée au corps pour
s'attaquer à un tel
chantier. Certes, tel ou
tel vieux, telle ou telle
vieille, plutôt, du
village était encore là
pour rappeler l'activité
et quelques histoires
liées à ce lieu jadis
d'utilité publique. Mais
le temps et le modernisme
ayant fait leur oeuvre,
il n'y avait plus, en
fait de lavoir, qu'un
vague entassement de
pierres souvent
dépareillées. Et
surtout, un
enchevêtrement de
broussailles au milieu
desquelles l'eau de la
source voisine frayait
vaguement sa voie.
Place au chantier
Forts de leur première
expérience de
restauration, à Bleys,
leur ayant déjà permis
de se faire la main, à
commencer par la
constitution du dossier
ad hoc pour la demande
d'éventuelles
subventions, Colette
Bouyssou et son conseil
municipal ont une
nouvelle fois pris leur
courage à deux mains.
Avec l'aide technique de
Ludovic Cals, de
l'entreprise Savoir-faire
et tradition (Moularès),
il était tout d'abord
indispensable de
procéder à un
inventaire des lieux.
Dissimulés sous les
broussailles, les trois
bassins du lavoir à ciel
ouvert ont été remis à
jour, apparemment encore
en bon état. Par contre,
le puits attenant, qui
approvisionnait en eau le
lavoir, était dans un
piteux état. Quant aux
abords, il était pour le
moins ardu d'imaginer ce
qu'ils pouvaient être.
Le ravinement, les ronces
et les arbustes
s'étaient chargés de
défigurer l'emplacement.
Courant 2005, conseillés
dans leurs travaux par
l'architecte Pierre
Novella, représentant
Patrick Gironnet,
architecte des Monuments
de France, Ludovic Cals
et les deux compagnons de
son entreprise ont
attaqué le chantier :
débroussaillage,
numérotage des pierres
apparentes, déterrement
des pierres enfouies,
taille de nouvelles
pierres calcaires
provenant d'une carrière
voisine, réfection en
maçonnerie du puits (mur
et voûte), création de
deux rampes d'accès,
remise en état des trois
bassins, création en
pierre de taille d'un
goulet d'acheminement de
l'eau...
Aujourd'hui, au terme de
six mois de travaux, le
lavoir de la Treyne a
retrouvé une
configuration sans doute
proche de celle
d'origine. Les deux
bassins principaux sont
à nouveau alimentés
naturellement en eau,
sauf durant les mois
d'été : le premier
bassin, le plus proche de
la source, était
réservé au rinçage et
le second, plus grand et
légèrement en
contrebas, servait à la
lessive proprement dite.
La hauteur de la margelle
(60-80 cm) laisse à
penser que les
lavandières opéraient
en position debout, et
non pas à genoux dans
des boîtes en bois,
comme c'était le cas
dans la plupart des
lavoirs publics.
Quant au troisième
bassin, le plus petit,
nul ne sait aujourd'hui
quelle était son
utilisation. D'ailleurs,
le mystère demeure plus
globalement encore sur
l'origine du lavoir et
sur la date de sa
création (même si l'on
peut présumer qu'il est
postérieur à 1851, date
à laquelle l'Assemblée
législative décréta
l'attribution de
subventions pour la
création de lavoirs
municipaux, dans la ligne
d'une politique de
salubrité publique). Le
mystère demeure
également, au grand
regret des contemporains
que nous sommes, sur les
histoires liées à ce
lieu qui, comme tous les
lavoirs publics, devait
être être un
"parlement des
femmes"
(l'équivalent,
pensait-on, du café pour
les hommes), où les
lavandières colportaient
les cancans et autres
histoires plus ou moins
croustillantes, plus ou
moins intimes, de la vie
au village. Leurs gestes,
pourrait-on commenter
avec toute la malice de
circonstance, étaient
purificateurs, mais leurs
dires, vénéneux !
Mais qu'importe
réellement si la
mémoire se heurte à ces
pans d'obscurité ! «
Notre décision de
restauration, commente
Colette Bouyssou,
s'inscrivait
naturellement dans le
cadre de la sauvegarde du
patrimoine communal. Nous
souhaitions pouvoir
transmettre aux
générations futures une
idée sur le mode de vie
contemporain au lavoir,
bien avant l'invention de
la machine à laver. On
ne peut que s'extasier
devant cet ensemble et se
projeter à l'époque où
les femmes se
réunissaient là pour
laver leur linge par tous
les temps. À cette
époque-là, le lavoir
donnait accès gratuit à
l'eau à tous les
habitants du village. »
Un tel enthousiasme ne
pouvait qu'être
communicatif. La preuve :
un paysan voisin de
l'emplacement où a été
construit, puis
aujourd'hui restauré le
lavoir de la Treyne, a
mis gratuitement à la
disposition de la commune
de Labarthe-Bleys un bout
de terrain attenant au
lavoir pour la création
d'un espace de repos et
de pique-nique. Bravo !
Le GR 36 qui passe à
proximité fera le reste
pour attirer les
promeneurs... Quant aux
quelques détracteurs du
projet, il semble qu'ils
en aient maintenant
compris et admis le
bien-fondé. Un prix
national décerné par la
très officielle
Fondation du Patrimoine
doit bien quand même
avoir sa justification !
Ainsi confortés dans
leur oeuvre de sauvegarde
du patrimoine de leur
commune, Colette Bouyssou
et ses adjoints
n'entendent pas
s'arrêter en si bon
chemin. Il faudra, dans
un premier temps,
poursuivre la
restauration de l'église
Saint-Hilaire, à Bleys.
Et puis, pour ne pas
faire de jaloux entre
habitants des différents
hameaux, un deuxième
lavoir, situé à
Labarthe cette fois-ci,
attend les bonnes
volontés - et leur
complément budgétaire -
pour refaire surface.
Y aurait-il donc, en
chaque responsable de
collectivité locale, un
bâtisseur qui sommeille
? Si c'est le cas, ce
n'est évidemment pas
pour nous déplaire.
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