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Offre n° 1
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REGIONS
: PAS-DE-CALAIS
De
notre correspondante à
HELLEMMES LILLE, Martin
TOURNADRE
Séjours adaptés : les
exploités de la bonne
cause - 14
septembre 2009
C'est lors
d'un séjour d'été
adapté dans lequel je me
suis infiltré en tant
qu'animateur que j'ai pu
constater des conditions
de travail et de séjours
difficiles à accepter.
Afin de préserver
l'anonymat, les lieux et
les noms ainsi que le
sexe de mes témoins sont
volontairement erronés.
Me voici donc à la
réunion d'information
organisée par Yohann, le
directeur, à quelques
kilomètres de la ville
où va se dérouler le
séjour. C'est un homme
jeune et dynamique qui
accueille la future
équipe, composée de
profils assez larges (
étudiants en
psychologie, jeunes
travailleurs sans
diplôme, animateurs
titulaires du BAFA etc.
). De la même manière
que l'association
organisatrice, notre
directeur nous annonce
que c'est un public
relativement autonome,
cependant l'on découvre
à ce moment seulement (
ça faisait un mois que
l'embauche avait été
décidée ) qu'une bonne
partie des vacanciers (
plus d'un sixième ) sont
sourds-muets ! Bon, on
s'adaptera. À en lire
les fiches, franchement,
je me serais cru plus
handicapé qu'eux (
pourquoi pas ), pas une
seule information
réellement utile, que le
secret professionnel
s'impose en l'absence de
personnel médical, c'est
normal, mais de là à ne
pas décrire ne serait-ce
que brièvement le
caractère et les
difficultés de chacun...
une anarchie des plus
abouties
Nous partons le lendemain
pour Montpellier en bus
afin d'embarquer les
vacanciers. Le chauffeur
de bus se perd et nous
prenons un peu de retard
( alors là je ne lui
jette pas la pierre,
Montpellier est une
insulte à la logique en
matière d'organisation
routière ) et finissons
par nous retrouver au
cur d'un
rendez-vous mettant en
scène une quarantaine de
bus (avec le personnel
que cela implique) dans
une anarchie des plus
abouties. Affaires
personnelles manquantes,
argent de poche qui se
retrouvera à l'autre
bout de la France,
réception des
médicaments laborieuse,
handicapés perdus,
certains paniqués, le
tout dans la canicule et
l'interdiction de se
fumer une clope ( ne vous
inquiétez pas, dans la
débandade il est
possible d'enfreindre
cette règle, voire
indispensable ). Nous
rangeons avec incertitude
les médicaments dans des
boîtes en carton
improvisées. Ceci dit,
ce bordel donne
l'occasion de rencontrer
les animateurs de tous
les séjours qui viennent
vous voir pour tenter de
gérer les lacunes en
matière d'organisation .
Pour notre part, le
compte est bon, les bus
partent un à un avec
trois bonnes heures de
retard, nous n'arriverons
donc pas pour le dîner
et mangerons sur une ère
d'autoroute tout en
distribuant les
traitements que l'on a
découverts entassés
dans le bus. L'ambiance
est sympa, François, un
des animateurs, par le
biais de chansons et
d'humour, détend
l'atmosphère au départ
un peu noircie par la
fatigue. À l'arrivée
les vacanciers
découvrent leurs
chambres non-mixtes et
leur rapidité à
s'endormir rendrait
jaloux des nouveaux-nés.
Il serait, à partir de
là, idiot de continuer
par ordre chronologique,
cette première partie
ayant pour but de planter
le décor. Je vais donc
poursuivre par
thématiques en engageant
aussi bien mon éthique
professionnelle que ma
sincérité personnelle.
« Durée de travail dans
un contrat éducatif ! »
(rires)
Nous voici donc face à
ce fameux tout jeune
Contrat Engagement
Éducatif, né en 2006.
Qu'est-ce donc que ce
contrat? C'est un papier
on ne peut plus légal
qui engage une
rémunération minimale
de 2,20 fois le SMIC
horaire par jour quelque
soit le nombre d'heures
travaillées. Besoin de
traduction? Nous avons
travaillé en moyenne 17h
par jour, payées
40 bruts. En deux
semaines de travail (
238h ) (sachant que, par
un coup de baguette
magique, une journée a
disparu de ma fiche de
paie) j'ai été payé
476 net, ce qui
nous revient à pile
2 de l'heure ! Et
encore je n'ai pas le
vice de calculer les
majorations pour heures
supplémentaires et de
nuit ( qui entreraient
dans le cadre d'un autre
contrat de travail
entendons-nous bien ).
Ça me fait penser à ce
scandale récemment paru
à propos de JCDecaux
payant ses employés
hongrois à ce même
salaire... bien
au-dessous du salaire
moyen du pays ! L'année
prochaine je penserai à
faire fortune en Europe
de l'Est. Quand j'ai
exprimé mon
mécontentement à ce
propos le directeur a
ironisé dans un rire
cynique : « Durée de
travail dans un contrat
éducatif ! ». Oui il y
a de quoi se marrer...
Heureusement il y a le
repos. 24h pour 6 jours
travaillés ! Bon allez,
cessons de râler, comme
le précise nerveusement
Yohann, « on vous paie
le logement et la bouffe
! ». Effectivement, sauf
que le code du travail
stipule justement que
c'est un engagement de la
part des organisateurs
qui ne doit en aucun cas
être considéré comme
des avantages en nature
(t'inquiètes pas
Marianne on a aboli
l'esclavage quand même).
En clair, sur le plan
juridique, le CEE c'est
du bénévolat avec
compensation financière.
Merci l'UMP, ça valait
vraiment le coup que mes
concitoyens revotent pour
vous en 2007.
Deux employés
démissionnent pour
surmenage
Journée type : réveil
7h30, début de la
journée 8h00-8h30, fin
de la journée
23h00-23h30, fin de la
réunion quotidienne
1h00, et au milieu
courrez pour pisser. En
gros vous vivez autant
physiquement que
psychologiquement en
absolue permanence avec
les vacanciers. Quels
sont leurs profils? En
tant qu'étudiant
infirmier j'ai pu faire
des déductions par le
biais des traitements.
C'est là qu'on croit, ou
espère, rêver ( sachant
que l'organisation ne
parlait que d'« handicap
mental » ) :
psychotiques,
trisomiques, dépressifs,
sourds-muets, double
fracture du col du fémur
(allez chercher le
handicap mental),
troubles neurologiques
sévères, alcoolisme,
diabète de type II, etc.
(oui : et cætera ! ).
Contrairement à ce
qu'exige le Code de
l'action sociale et des
familles conformément au
décret n°2006-950 du 28
juillet 2006, le
personnel n'était pas
qualifié pour accueillir
ce type de public (le
BAFA étant le minimum
indispensable, seul ¼ en
était titulaire).
Il faut savoir que
c'était une population
franchement pas autonome
( plus de la moitié
nécessitait une aide à
la toilette, les trois
quarts ne pouvaient
gérer leur argent de
poche, un simple
accompagnement aux
toilettes devenant une
gestion improbable... ).
Nous étions, dans le
meilleur des cas, un
animateur pour cinq
vacanciers. Sachant que
certains d'entre eux ( je
pense notamment à une
aveugle sourde et muette
) ont besoin d'un
accompagnement
individuel, nous étions
bien souvent plutôt un
pour sept. Ça posait un
sérieux problème, on
s'en est bien rendu
compte lors d'une des
premières sorties :
changement de programme
pour cause de musée
inadaptée aux
handicapés + foule =
attaque de panique pour
trois d'entre eux, plus
une crise de colère
difficilement gérée.
Journées sans pause ( y
compris pendant les repas
), manque de
qualifications,
responsabilités, peu de
sommeil ; résultat :
deux des animateurs (
dont Michel ayant six
années d'expérience
d'animation avec les
enfants ) ont décidé de
démissionner pour raison
de surmenage. Il en
valait mieux ainsi :
Michel s'est mis à
s'énerver contre les
autres éducateurs mais
surtout, pire, contre les
vacanciers. Yohann voulut
négocier au départ mais
s'est vite rendu à
l'évidence, il fallait
trouver des remplaçants.
Les deux animateurs
quittant leur poste sont
carrément allés voir un
médecin. Mais comme
Yohann, entre deux
préoccupations pour nous
( prenant le temps
d'organiser une visite
médicale... et un avis
sur la possibilité de
continuer le travail ),
le répétait sans cesse
: « les vacanciers avant
tout ! ». Oui,
seulement, à ne pas
surveiller sa santé on
finit par ne plus pouvoir
gérer la sécurité et
le bon déroulement du
séjour.
« Si tu contactes la
DDASS, tu vas me foutre
dans la merde ! »
Ereinter des animateurs,
c'est une chose. Mettre
des adultes handicapés
en situation de confort
et de sécurité
précaires c'en est une
autre qui dérange encore
plus.
Premièrement les
médicaments. Commençons
par un peu de droit,
c'est lourd mais
indispensable.
Selon le Code de la
Santé publique, Chapitre
IV : Dispositions
pénales :
Article 5424-1 : « Est
puni de 3750 euros
d'amende le fait : 1°
D'ouvrir, d'exploiter ou
de transférer une
officine sans être
titulaire de la licence
mentionnée à l'article
L. 5125-4 ou alors que
celle-ci a été
suspendue ou retirée »
Article L4314-4 (
Ordonnance nº 2000-916
du 19 septembre 2000 art.
3 Journal Officiel du 22
septembre 2000 en vigueur
le 1er janvier 2002 ) :
« L'exercice illégal de
la profession d'infirmier
ou d'infirmière est puni
de 3750 euros d'amende
et, en cas de récidive,
de cinq mois
d'emprisonnement et 7500
euros d'amende. »
Si les conditions
inscrites dans le contrat
avaient été
respectées, nous
n'aurions pas été
obligés de nous
improviser infirmiers
puisqu'il aurait suffit
de suivre la distribution
de médicaments
rigoureusement rangés
dans des piluliers. Il
est parfaitement légal
de se voir déléguer la
distribution
médicamenteuse
organisée au préalable.
Seulement voilà,
beaucoup de semainiers
n'étaient réalisés que
pour une semaine ( pour
des séjours d'une durée
minimale de deux semaines
) et j'ai même trouvé,
sans rire, des erreurs
dans les piluliers
fournis ! Il nous est
arrivé qu'un vacancier
nous précise une erreur
( exemple : un somnifère
donné au soir au lieu du
coucher, un neuroleptique
de trop ! ... ) ou des
oublis. C'est qu'on a
été à deux doigts de
ne pas pouvoir assurer
une injection d'Haldol,
puissant neuroleptique.
L'engagement formidable
de l'équipe et leur
courage évitent les
drames...
J'ai trouvé assez
étrange de trouver un
bus à étage ainsi qu'un
seul minibus (
réquisitionné une fois
par semaine pour les
transferts ), celui-ci
servant à faire des
allers-retours entre le
dortoir et le réfectoire
( 800m en pente et
montée ). En discutant
avec Franck, vacancier
opéré pour une double
fracture du col du
fémur, j'ai compris que
ce n'était pas
exceptionnel, il s'était
d'ailleurs retrouvé,
lors d'un séjour avec le
même organisme, bloqué
dans un lit à l'hôpital
suite à une chute ! Il
n'a d'ailleurs pas
particulièrement
apprécié qu'il n'y ait
pas de suite à ses
plaintes « on va
m'entendre quand le
responsable viendra ! ».
Imaginez un patient qui
vient de recevoir une
injection d'un puissant
neuroleptique, il vous
avoue sa fatigue, et vous
devez lui expliquer qu'on
a pas le choix et, s'il
pousse le mécontentement
un peu loin, utiliser «
une main de fer dans un
gant de velours » comme
l'indique le petit
explicatif de
l'association.
Sur place on est coupés
du monde, j'ai donc
accepté ma potentielle
ignorance envers les
règles de sécurité et
discuté avec Yohann qui
m'a précisé
qu'absolument rien
n'était en désaccord
avec la loi. J'ai tout de
même un peu insisté,
sur le code du travail :
« tu me fais chier avec
ta loi ». Ok et sur la
sécurité des
vacanciers? Pas de
problèmes. Je lui
déclare alors qu'il n'y
aura pas de problème si
un témoignage à la
DDASS sera accordé.
Réponse : « Si tu
contactes la DDASS, tu
vas me foutre dans la
merde ! ». Ça a le
mérite d'être clair.
Ayant pu considéré son
investissement et sa
bonne volonté, je tiens
réellement à assurer
son anonymat, ce qui est
à remettre en cause
n'est pas l'action des
travailleurs, mais les
conditions financières
et légales.
Pour un véritable
service public
d'accompagnement !
Quand on voit des
animateurs se moquer
gentiment des vacanciers
sans avoir conscience des
conséquences, ce n'est
pas leur humanité que
l'on remet en cause mais
leur domaine de
compétences. Il faudrait
au minimum un infirmier
et/ou un éducateur
spécialisé pour
encadrer ce type de
public, non pas pour
s'écarter de l'aspect
divertissement mais pour
assurer la sécurité
psychologique et physique
des personnes ! Quand un
vacancier pleure parce
qu'un animateur s'est
retrouvé être trop
proche de lui et qu'il
n'a pas su mettre de la
distance, c'est une faute
professionnelle
involontaire. Comme
disait François : «
J'aimerais être mieux
guidé pour les
réactions à adopter
face à leur comportement
». Mais un professionnel
coûte plus cher et
n'accepte pas les mêmes
conditions de travail. À
1800 euros le séjour
d'un mois par tête,
sachant que l'association
est grande, on est
franchement tenté de se
dire que la mauvaise
volonté et la
mégalomanie répondent
présentes ! Sans aller
jusqu'à évoquer les
personnes condamnées
pour avoir su détourner
le statut d'association
de loi 1901 en gagnant de
l'argent !
Les adultes handicapés
sont bien trop souvent
victimes de leur manque
d'autonomie, grands
enfants oubliés d'un
gouvernement qui se
contente de créer des
contrats poubelle en
réduisant le nombre de
postes d'éducateurs
spécialisés et
d'infirmiers. Avec la
droite, soyons heureux
d'être « sains »...
contrairement aux «
réformes » que l'on
nous impose !
Martin Tournadre
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