L'eau, révélatrice d'un
nouvel apartheid au Moyen Orient
Extrait du rapport "La géopolitique de
leau" de l'Assemblée nationale
française.
Enregistré à la Présidence de
lAssemblée nationale le 13 décembre 2011
Président de commission : lionnel LUCA
Rapporteur : Jean GLAVANY
Début de citation :
Mise en place en 1948 par le premier
ministre F. Malan, l'apartheid a vu le
développement différencié des groupes
ethniques en Afrique du Sud pendant un demi
siècle. Cette politique consistait à la fois en
une ségrégation raciale et spatiale
(cloisonnement des populations noires et
"coloured" dans des espaces confinés
appelés bantoustans) mais aussi en une
ségrégation citoyenne, les libertés d'une
partie de la population (restriction du droit
d'aller et venir, du droit de se rassembler dans
les lieux publics, violences policières) étant
bafouées. Lodieux régime de
lapartheid a pris fin en Afrique du Sud au
début des années 90, avec la libération de
Nelson Mandela et des prisonniers politiques, le
compromis courageux entre M. de Klerk et Mandela
et les premières élections libres de 1994
confiant massivement le pouvoir à lANC
African National Congress, le parti de Mandela.
Bien sûr, comparaison n'est pas forcément
raison : la Palestine n'est pas l'Afrique du Sud,
et les années 2010 ne sont pas celles d'avant
1990. Pourtant, il est des mots et des symboles
qui par leur force peuvent avoir une vertu
pédagogique.
Or, tout démontre, même si bien peu nombreux
sont ceux qui osent employer le mot, que le
Moyen-Orient est le théâtre dun nouvel
apartheid.
La ségrégation y est raciale mais comme on
nose pas le dire, on dira pudiquement «
religieuse ». Pourtant, la revendication
dun état « Juif » ne serait-elle que
religieuse ?
La ségrégation est spatiale également : le mur
élevé pour séparer les deux communautés en
est le meilleur symbole. La division de la
Cisjordanie en trois zones, A, B et C en est une
autre illustration :
Larmée israélienne a transféré à
lAutorité palestinienne la responsabilité
des affaires civiles, cest-à-dire la
fourniture de services à la population, dans les
zones A et B. Ces deux zones, qui contiennent
près de 95 % de la population palestinienne de
Cisjordanie, ne représentent que 40 % du
territoire. La zone C reste entièrement placée
sous lautorité de larmée
israélienne. Cette zone représente 60 % du
territoire de la Cisjordanie, avec toutes les
réserves foncières et laccès aux
ressources aquifères, ainsi que toutes les
routes principales.
La ségrégation est aussi hautaine et
méprisante (« ces gens-là ne sont pas
responsables »
répètent à l'envie
certains responsables israéliens), vexatrice et
humiliante (les passages aux check point sont
restreints ou relâchés sans prévenir) voire
violentes (la répression des manifestations fait
régulièrement des morts
).
Cest donc bien dun « nouvel
apartheid » quil sagit.
Et dans cette situation, l'eau est ainsi un
élément particulier du conflit entre
Palestiniens et Israéliens, au point
quelle constitue le « 5ème volet » des
accords d'Oslo. La Déclaration dOslo du 13
septembre 1993 reconnaît les droits des
Palestiniens sur leau en Cisjordanie.
Laccord intérimaire de Taba du 28
septembre 1995 prévoit un partage des eaux
jusquà la signature dun accord
permanent. Mais ce partage est incomplet : il ne
porte que sur les aquifères ; le Jourdain en est
exclu, les Palestiniens ny ayant plus
accès. Ensuite il gèle les utilisations
antérieures et ne répartit que la quantité
deau encore disponible, cest dire 78
mètres cubes de laquifère oriental. Il
est donc très défavorable aux Palestiniens qui
nexploitent que 18 % des aquifères ; soit
10 % de leau disponible sur le territoire.
Cest pourquoi sans règlement politique
global, on voit mal comment ce qui est devenu un
véritable "conflit de l'eau" pourrait
trouver une solution.
Quelles sont donc les caractéristiques de ce «
conflit de l'eau » ? Du point de vue « hydrique
», il concerne avant tout le fleuve Jourdain,
où sont réunis tous les éléments prompts à
déclencher une « crise de l'eau » : depuis le
début du conflit, guerre après guerre, les «
extensions territoriales » d'Israël, qu'on le
veuille ou non, sapparentent à des «
conquêtes de l'eau », que ce soit des fleuves
ou bien des aquifères.
Or, l'eau est devenue au Moyen-Orient bien plus
qu'une ressource : c'est une arme.
Pour comprendre la nature de cette « arme » au
service de ce « nouvel apartheid », il faut
savoir, par exemple, que les 450 000 colons
israéliens en Cisjordanie utilisent plus
deau que 2,3 millions de Palestiniens.
Sachons aussi entre autres multiples exemples que
:
- la priorité est donnée aux colons en cas de
sécheresse en infraction au droit international
;
- le mur construit permet le contrôle de
laccès aux eaux souterraines et empêche
les prélèvements palestiniens dans la « zone
tampon » pour faciliter lécoulement vers
louest ;
- les « puits » forés spontanément par les
Palestiniens en Cisjordanie sont
systématiquement détruits par larmée
israélienne ;
- à Gaza les réserves deau ont été
prises pour cible en 2008-2009 par les
bombardements.
- et comme les zones A et B ne sont pas dun
seul tenant, mais fragmentées en enclaves
entourées par des colonies israéliennes et par
des routes réservées aux colons, ainsi que par
la zone C, cette configuration entrave le
développement dinfrastructures
performantes pour l'approvisionnement en eau et
l'évacuation des eaux usées. La plupart des
Palestiniens résident dans les zones A et B,
mais les infrastructures dont ils dépendent se
trouvent dans la zone C ou la traversent. Les
déplacements des Palestiniens dans la zone C
sont limités ou interdits ; larmée
israélienne autorise rarement les travaux de
construction ou daménagement. On peut
citer plusieurs exemples de stations
dépuration programmées par le ministère
palestinien de lEau et qui sont «
bloquées » par ladministration
israélienne.
Les Israéliens reprochent aux Palestiniens
lexistence de puits non contrôlés
responsables de pompages excessifs et dune
salinisation des aquifères. Ils citent
lexemple de Gaza où laquifère est
en passe dêtre perdu. Ils reprochent
également labsence de traitement des eaux.
Seuls 31 % des Palestiniens sont raccordés. Mais
le Comité na approuvé que 50 % des
projets palestiniens, avec dénormes
retards, alors que son autorisation doit encore
être suivie dune autorisation
administrative pour la zone C.
Lappropriation des ressources par les
colonies et par le tracé du mur est également
troublant. La surexploitation des aquifères est
avérée.
Les Israéliens se fondent sur la théorie de la
première appropriation pour défendre leurs
droits et refusent toute gestion partagée dans
une vision sécuritaire de leau. Israël
propose des solutions, parfois intéressantes,
mais où il garderait la maîtrise de leau.
Il a semblé à la mission que le pays
préférerait abandonner les aquifères, en
finissant de développer le dessalement, plutôt
que de mettre en place une gestion partagée. Il
ny aura pas de partage de leau sans
solution politique sur le partage des terres.
Pourtant, un comité conjoint sur leau
(Water joint committee) a été créé par les
accords dOslo II. Il a compétence pour
toutes les questions deau relative aux
seuls Palestiniens sur le territoire de la
Cisjordanie. Ce nest donc pas un organisme
de gestion partagée et encore moins de bassin.
Il fonctionne en outre sur le mode du consensus
ce qui donne de facto un pouvoir de veto à
Israël.
Fin de citation.
Source : Rapport sur la géopolitique de leau,
Assemblée nationale, 13 décembre 2011
Lien permanent : http://www.fil-info-france.com/L_eau_revelatrice_d_un_nouvel_apartheid_au_Moyen_Orient.htm
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