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Discours de Bernard Cazeneuve lors de la 6ème Convention nationale du CRIF

REF :
Seul le prononcé fait foi, Paris, 1er novembre 2015

Souce : Ministère de l'Intérieur.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Je vous remercie très chaleureusement de m’avoir invité à prendre la parole en conclusion des travaux de votre convention.
Les débats, je le sais, sont toujours ici de grande qualité. Ils donnent une idée de la vigueur intellectuelle qui caractérise aujourd’hui le judaïsme français, aussi bien que de la diversité des sensibilités et des courants d’opinion qui le traversent. Ils attestent de l’importance que vous attachez à la réflexion et à l’argumentation, plutôt qu’aux facilités de la polémique, dès lors qu’il s’agit de répondre aux graves questions que se pose notre pays. Ils témoignent également de votre souci d’ouverture et du désir d’échange qui est le vôtre, puisque certains des orateurs qui m’ont précédé sont venus apporter le point de vue d’autres traditions, d’autres composantes de la société française.
Comme cela est la règle, les questions que vous avez choisi d’aborder au cours de cette journée sont abruptes, voire provocatrices, mais elles résonnent fortement avec l’actualité. « Le monde est-il devenu fou ? », « Le 11 janvier a –t-il changé la France ? », « Le monde juif, village gaulois ? » … Par leur ampleur, ces interrogations semblent disqualifier par avance toute tentative de conclusion générale. Je relève cependant que ma prise de parole intervient au terme d’une session que vous avez intitulée : « Et si le pire n’était pas certain ? » … ce qui doit constituer à mon endroit comme une sorte d’adresse, de supplique, à moins qu’il ne s’agisse d’un encouragement.

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A divers égards, cette année que nous venons de traverser douloureusement en ensemble fut pourtant placée sous le signe du pire. Notre pays a connu bien des épreuves depuis un an, comme vous le savez tous, et les Français de confession juive ont pris plus que leur part de ce fardeau.
Je pense, bien entendu, aux attentats des 7 et 9 janvier et en particulier à l’assassinat de quatre clients du magasin hypercacher de la porte de Vincennes, froidement abattus parce qu’ils étaient juifs.
Je pense au crime crapuleux et antisémite dont a été victime quelques semaines auparavant une famille juive de Créteil et qui a ravivé le souvenir du martyre de Ilan Halimi.
Je pense aux agressions dont été victimes ceux qui se rendaient à l’office parce qu’ils portaient la kippa.
Je pense également à la profanation d’une centaine de tombes au cimetière de Sarre-Union, en Alsace, qui nous a montré que la haine et la violence qui frappent les vivants pouvaient s’accompagner de l’offense faite à la mémoire des morts.
Je ne m’habitue pas, croyez-le bien, à égrener la liste de ces actes d’infamie, ni celle de ces victimes tombées en raison de la haine antisémite qui a inspiré les terroristes à Toulouse, à Bruxelles ou à la porte de Vincennes.
Malgré les leçons de l’histoire, ces sursauts d’antisémitisme nous rappellent que cette vieille haine n’a malheureusement pas disparu et qu’elle est prête à ressurgir, tenace, sous des formes nouvelles mais toujours barbares et meurtrières.

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Face à cette haine, vous connaissez ma détermination, celle du Gouvernement. Elle est totale en effet lorsqu’il s’agit de protéger les Français de confession juive, comme tous ceux qui sont victimes de violences en raison de leurs origines, de leur confession ou de leurs croyances.
Je ne vais pas énumérer une nouvelle fois devant vous toutes les mesures prises depuis un an pour assurer cette protection. Elles font l’objet d’un effort continu pour rendre ce dispositif toujours plus efficace. J’en veux bien sûr pour preuve le nombre des synagogues, des écoles confessionnelles et de centres communautaires juifs aujourd’hui protégés par les forces de l’ordre et par l’armée : 794 dans la France entière. Ce dispositif de protection sera maintenu dans toute son ampleur, comme je m’y suis engagé, aussi longtemps que le contexte le justifiera.
Et je veux rendre devant vous un hommage appuyé aux policiers, aux gendarmes et aux militaires de France qui assument ces missions de protection avec efficacité et bravoure. Ils sont l’honneur de notre Nation. Ils méritent notre plus profond respect et notre immense gratitude. Leur engagement sans faille pour que soit préservé, dans un climat inédit de tensions, l’ordre républicain devrait susciter davantage de retenue de la part de démagogues et de populistes qui dénigrent, par amour de la polémique, leurs actions, alors que la responsabilité républicaine justifierait tant qu’on les soutienne.
En parallèle, il nous faut également agir sur le terrain de la prévention et de la répression des actes antisémites, ainsi que sur celui de l’éducation. C’est là l’objet du plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, doté de 100 millions d’euros, dont vous a déjà parlé le Préfet Gilles CLAVREUL, que je salue. Ce plan, comme il vous l’a certainement exposé, comporte plusieurs dispositions radicalement nouvelles. D’abord l’amélioration de la réponse pénale, avec l’intégration de la répression des discours de haine dans le droit pénal général, plutôt que dans le droit de la presse, pour simplifier les règles d’enquête et de jugement. Ensuite, la décision de faire du racisme et de l’antisémitisme une circonstance aggravante généralisée à tous les crimes et délits, comme l’a annoncé le Président de la République au Camp des Milles. Ou encore, la création d’une unité spécifique au sein de la police nationale, chargée de la lutte contre la haine sur internet, qui est déjà opérationnelle et qui traite 300 signalements par semaine. Enfin, ce plan comporte une importante dimension éducative, qui implique l’Education nationale aussi bien que les institutions mémorielles comme le Mémorial de la Shoah. Cette dimension éducative me paraît essentielle car personne ne nait spontanément raciste ou antisémite.
Les mesures mises en œuvre depuis janvier dernier commencent à porter leurs fruits. On observe en effet au cours des neuf premiers mois de cette année une baisse de 1,5% des actes et des menaces antisémites au regard de la même période de l’année 2014 – et cela en dépit de la flambée des actes antisémites constatée en janvier et en février derniers. Depuis le mois de juin en particulier, le nombre mensuel des actes constatés est retombé à un niveau, certes encore bien trop élevé, mais sensiblement inférieur à celui de l’an passé. Cette évolution doit encore être considérée avec prudence et c’est pourquoi l’Etat ne doit en aucun cas relâcher son effort. Aucun acte antisémite ne doit rester impuni, car je sais que cette menace continue à entretenir un sentiment légitime d’inquiétude et de profond malaise au sein de la communauté.

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Même si cette convention n’a pas consacré de débat spécifique au sujet de l’aliyah, il s’agit là, je le sais, d’un questionnement présent à l’esprit de nombre d’entre vous. Je ne souhaite donc pas esquiver ce soir cette question si importante.
En tant que choix individuel, l’émigration en Israël peut naturellement résulter de motivations diverses. La « montée » vers Jérusalem est une option que chaque Juif de la diaspora peut être amené à considérer, à un moment de sa vie, dans une perspective religieuse ou politique, en France comme ailleurs. Par ailleurs, les liens familiaux qui unissent de nombreux juifs de France à Israël sont forts et peuvent susciter des projets de regroupement. L’attractivité économique d’Israël, cette « start up nation », joue aussi son rôle, en particulier pour les jeunes diplômés et dans certains secteurs de pointe. Dans ces conditions, l’aliyah apparaît comme une décision individuelle qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de juger, ni même de commenter.
Il en va autrement lorsque l’on observe globalement une augmentation brusque des projets de départ, comme cela semble être le cas en France depuis 2013, et que ceux-ci semblent concerner de façon indiscriminée les différents milieux sociaux, classes d’âge et courants spirituels de la communauté juive. On peut craindre qu’il y ait alors, indépendamment de l’attractivité d’Israël, une « alyiah du désarroi » traduisant chez certains Français de confession juive la conviction que le pacte par lequel la République s’engage à protéger ses citoyens et à leur assurer des conditions d’existence paisible a été rompu. A cette inquiétude s’ajoute parfois, chez les plus religieux, le sentiment que leur pratique quotidienne du culte est soumise à des contraintes de plus en plus rigoureuses, au nom d’une conception rigide de la laïcité. Lorsqu’elle obéit à de tels motifs cette décision grave s’apparente au choix contraint de l’exil et peut constituer un véritable arrachement. Elle est aussi à mes yeux un échec pour la communauté nationale, une blessure pour la République et le pacte qui la fonde.
A ceux qui se trouvent dans cette situation, à ceux qui sont partis ou qui envisagent de le faire parce qu’ils doutent de la République, je voudrais adresser un message personnel et ferme. Je voudrais dire ma confiance en l’avenir à tous les Juifs de France, promettre de toute la force de ma volonté que la République les défendra sans faillir, comme l’ont clairement montré toutes les décisions prises depuis un an. La République les défendra parce que sans les Juifs de France, la République serait amputée d’une part la plus sensible et la plus vivante d’elle-même. Les Juifs de France, depuis des siècles et des siècles, ont contribué à doter la France de la lumière qui l’a fait rayonner dans le monde comme une Nation de valeurs et de devoirs. Cette Nation-phare qui, comme le disait magnifiquement François Mitterrand, a tenu inlassablement dans l’Histoire le discours que les peuples du monde ont appris à aimer d’elle.
A ceux qui sont partis vivre en Israël comme à ceux qui reviendront dans notre pays, je veux dire que la France est leur patrie, celle de leurs enfants. Et que la solidarité qu’ils éprouvent à l’égard d’Israël ne sera jamais un obstacle à cette filiation, à cette appartenance républicaine. Comme l’écrivait déjà Emmanuel LEVINAS au lendemain de la Guerre des Six-jours, la France comme nation n’a pas à craindre les identifications multiples de ses citoyens, que ce soit à l’égard d’une région, de leurs pays d’origine ou d’une religion. Ces catégories ne menacent pas l’allégeance à la France.

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Vous le disiez il y a quelques mois, cher Roger CUKIERMAN, les juifs sont des sentinelles de la démocratie.
Cette passion des juifs pour la République ne date pas d’aujourd’hui. Le Grand Rabbin Aron de Strasbourg déclarait dès 1848 : « Le drapeau qui flotte aujourd’hui sur le parvis national de la République française, c’est l’étendard sacré que l’Eternel confia à Moïse … C’est le symbole des droits de l’humanité que nos prophètes ont proclamé courageusement. »
Des taches indélébiles sont certes venues souiller ultérieurement cette alliance entre la République et les juifs de France. Nous devons en conserver intact le souvenir. Mais il n’en faut pas moins garder le meilleur de cette confiance en l’idéal républicain dont a témoigné le franco-judaïsme, sa croyance en l’émancipation par le savoir et par l’école, son émerveillement face à la promesse de liberté, d’égalité et de fraternité inscrite sur le fronton de nos mairies.
Le franco-judaïsme a particulièrement souligné les racines bibliques de cette grande vertu républicaine qu’est la fraternité. Depuis deux siècles, la communauté juive s’est ainsi portée à la pointe du combat contre toutes les formes de racisme, d’intolérance et de discrimination.
L’engagement du CRIF dans le dialogue interreligieux se situe également, me semble-t-il, dans cette tradition d’attention à l’autre et de volonté de contribuer au bien commun. En avril 2014, vous ainsi avez lancé un appel national intitulé « Vivons ensemble ! » J’ai également en mémoire cette soirée de juin 2014 où Michèle TEBOUL, qui préside le CRIF Marseille-Provence, m’a présenté « L’appel de Marseille » à travers lequel juifs, chrétiens et musulmans délivraient un message commun en faveur de l’amitié et de la paix. Je pourrais encore évoquer la signature à Toulouse - trois ans après les attentats qui ont ensanglanté l’école « Ozar Hatorah » – de la « Charte de la fraternité » le 19 mars dernier.
Dans une société traversée de tensions comme la nôtre, il est de notre intérêt collectif de promouvoir ce dialogue interreligieux, non pas dans sa dimension théologique, mais pour sa contribution à la paix civile. Le grand rabbin KAPLAN déclarait il y a une trentaine d’années : « Il s’agit, chacun gardant sa religion particulière, de travailler ensemble. Il faut que les religions s’entendent et sympathisent. Nous pouvons très facilement, nous juifs, sympathiser parce qu’aux yeux du judaïsme, la religion chrétienne comme la religion musulmane ont une raison d’être ; elles ont une mission divine. Il ne s’agit ni de fusion, ni de syncrétisme et nous pouvons travailler en restant fidèles chacun à sa religion. »
Vous vous félicitiez à juste titre, cher Roger CUKIERMAN, lors de la clôture de votre précédente Convention du CRIF du chemin que les juifs et les catholiques avaient parcouru ensemble depuis la déclaration conciliaire « Nostra Aetate », dont nous célébrons précisément les 50 ans cette semaine. Il me semble qu’il y a aujourd’hui un enjeu tout aussi important à promouvoir le dialogue entre juifs et musulmans. Toutes les personnes de bonne volonté, toutes les institutions religieuses, chez les juifs comme chez les musulmans, peuvent y apporter leur concours, pour surmonter la méfiance qui peut exister de part et d’autre. Je comprends que c’est dans cet esprit que vous avez invité aujourd’hui Anouar KBIBECHE, président du Conseil français du culte musulman, à participer à cette convention.
La tâche est difficile car les racines de la méfiance sont sans doute plus profondes que jamais. Il ne fait pas de doute que l’une des sources d’inspiration du terrorisme djihadiste réside dans une judéophobie fanatique et meurtrière. L’antisémitisme est également une réalité, il faut savoir le reconnaître, dans des quartiers sensibles où la projection aveugle de certains jeunes dans le conflit israélo-palestinien peut servir de prétexte à toutes sortes d’agressions et de débordements. Pour autant, la grande masse des musulmans de France ne peut être tenue pour comptable des agissements d’une minorité, ni a fortiori des exactions de DAESH. Contrairement à ce que j’entends dire parfois, non seulement les attentats, mais les principales agressions antisémites font l’objet de condamnations publiques et parfaitement explicites de la part des diverses organisations musulmanes en France.
C’est à ces musulmans que le gouvernement a voulu s’adresser et tendre la main lors de l’instance de dialogue avec l’Islam de France. Je retiens de cette journée et des débats de grande qualité qui s’y sont déroulé que ce dialogue est possible. Des études internationales ont du reste montré que la France, parmi tous les pays occidentaux, est le pays où le respect entre les différentes fois religieuses est le plus élevé. C’est en France que les chrétiens et les musulmans ont le taux d’approbation de l’autre religion le plus élevé. Et la France est le seul pays dans lequel une majorité de musulmans (et une très large majorité : 74%) a une opinion positive des juifs, ce qui n’est pas le cas dans d’autres grands pays européens (Pew Research Ctr., Pew Global Attitude Project: 15 Nation Survey, printemps 2006).

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Il est donc des raisons d’espérer, au nombre desquelles je compte naturellement l’engagement républicain de votre communauté en faveur du dialogue et de la cohésion nationale.
Il est des raisons d’espérer parce que la société française sait faire preuve d’une grande capacité de résilience, face aux périls qui la menacent ou aux crises qu’elle doit affronter. La réponse républicaine et largement spontanée qu’ont apportée des millions de Français en descendant dans la rue les 10 et 11 janvier en constitue un exemple. La dignité et l’émotion qui ont marqué les funérailles de notre compatriote Hervé CORNARA, assassiné de façon odieuse, méritent également d’être relevées – tout comme, dans un contexte qui n’est pas celui du terrorisme, celles des 43 victimes de l’accident intervenu à Puisseguin en Gironde la semaine passée. Il me semble que dans l’adversité, à l’échelle de la ville ou du village, comme à l’échelle de la Nation, des réserves immenses de solidarité trouvent à se manifester.
Cette générosité, je l’observe également dans l’accueil que nos concitoyens et leurs élus, dans leur grande majorité, réservent aux réfugiés que la crise migratoire précipite sur notre sol. Des milliers de communes ont ainsi répondu de façon volontaire à l’appel lancé au nom de l’Etat afin d’assurer de façon ordonnée leur accueil. Les associations effectuent un travail considérable. Certes, de façon abstraite, certains sondages font apparaître des craintes, liées à des doutes sur la soutenabilité pour le pays d’un effort dont le volume et la durée sont difficiles à apprécier. Mais les manifestations de solidarité n’en sont pas moins, de façon très concrète, les plus nombreuses. La présence de migrants dans nos villes n’a pas suscité, fort heureusement, ces manifestations de rejet, ou même de violence, auxquelles elles ont donné lieu dans certains pays d’Europe.
Enfin, notre capacité de résilience repose sur la solidarité, la générosité, mais aussi sur notre lucidité et sur notre fermeté. Le consensus assez large qui a entouré jusqu’à présent les mesures prises afin de renforcer nos moyens de lutter contre le terrorisme ajoute à la robustesse de notre position face à DAESH. Un tel consensus n’existe pas à l’échelon national à l’égard de la gestion de la crise migratoire, mais il existe souvent là où il est le plus nécessaire, à l’échelon local, comme à Calais où les élus et le Gouvernement travaillent en parfaite intelligence, avec le seul souci de protéger la ville et les migrants eux-mêmes contre une catastrophe toujours possible.
Le pire n’est donc pas certain, en dépit des menaces très sérieuses qui pèsent sur notre pays. Le meilleur reste possible, comme l’a montré la magnifique réaction de la nation au lendemain des attentats du mois de janvier. Des risques existent toutefois pour notre cohésion nationale, parce que les peurs que suscite inévitablement le monde qui nous entoure peuvent se prêter à toutes sortes d’exploitation cynique et aboutir à dresser les Français les uns contre les autres. Mais les crises qui nous menacent sont aussi pour les républicains authentiques l’occasion de faire bloc autour des principes qui doivent les rassembler : la responsabilité, la lucidité, la fraternité.

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Vous m’avez invité en tant que ministre de l’Intérieur et, en tant que tel, je me devais avant tout de vous assurer de mon engagement total à assurer la sécurité des Juifs de France, comme celle de tous les Français.
Au-delà de cet engagement, j’ai voulu vous dire, comme vous l’aurez compris, la confiance que je vous porte, l’importance du rôle que joue à mes yeux la communauté juive pour faire vivre aujourd’hui, comme cela a été le cas depuis deux siècles, les valeurs de la République.
En guise de conclusion, je voudrais enfin vous lire quelques lignes de celui qui fut sans doute le plus grand historien français du XXème siècle, Marc BLOCH. Elles sont encore aujourd’hui à mes yeux une source d’inspiration pour notre temps.
Marc BLOCH, qui avait combattu avec courage au cours des deux guerres mondiales – il avait reçu au total cinq citations à l’ordre de l’armée -, qui s’était engagé dans la résistance, et qui a péri fusillé par les nazis le 16 juin 1944, avait rédigé en mars 1941 un texte dont il souhaitait qu’il soit lu sur sa tombe le jour venu.
Il explique les raisons pour lesquelles, libre-penseur, il n’a pas souhaité que soient récités lors de ses funérailles les prières hébraïques et poursuit :
« Mais il me serait odieux que, dans cet acte de probité, personne pût rien voir qui ressemblât à un lâche reniement. J’affirme donc, s’il le faut face à la mort, que je suis né Juif ; que je n’ai jamais songé à m’en défendre ni trouvé aucun motif d’être tenté de le faire. Dans un monde assailli par la plus atroce barbarie, la généreuse tradition des prophètes hébreux, que le christianisme, en ce qu’il eut de plus pur, reprit pour l’élargir, ne demeure-t-elle pas une de nos meilleures raisons de vivre, de croire et de lutter ?
Etranger à tout formalisme confessionnel comme à toute solidarité prétendument raciale, je me suis senti durant ma vie entière, avant tout et très simplement Français. Attaché à ma patrie par une tradition familiale déjà longue, nourri de son héritage spirituel et de son histoire, incapable, en vérité, d’en concevoir une autre où je puisse respirer à l’aise, je l’ai beaucoup aimée et servie de toutes mes forces. Je n’ai jamais éprouvé que ma qualité de juif mît à ces sentiments le moindre obstacle. Au cours des deux guerres, il ne m’a pas été donné de mourir pour la France. Du moins puis-je, en toute sincérité, me rendre ce témoignage ; je meurs comme j’ai vécu, en bon Français. »
Marc BLOCH ne savait pas, en rédigeant ces lignes, qu’il allait trouver une mort héroïque au service de son pays. Nous n’aspirons pas à posséder son génie, ni son héroïsme. Mais nous pouvons suivre son exemple et tenter, sans jamais rien renier de nos diverses attaches, et si précieuses soient-elles pour nous, de vivre ensemble « en bons Français ».
En Français libres, respectueux les uns des autres. En Français épris de la République, des valeurs qu’elle porte, des idées qui lui sont consubstantielles et qu’il nous faut protéger comme un trésor.

Vivent les Juifs de France
Vive la République
Vive la France