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Discours du Pape François devant le
Conseil européen de Strasbourg, le mardi 25
novembre 2014
Mercredi 26 novembre 2014 N°
4019/25415
- FRANCE
- FIL INFO RELIGION - Devant le Conseil
européen, le Pape
soutient "la nécessité d'éduquer à la
paix" : Après un discours devant
le Parlement européen de Strasbourg, le Pape
François s'est également exprimé, mardi 25
novembre 2014, devant le Conseil européen. Dans
son discours centré sur lapport du
christianisme au développement culturel et
social, mais aussi sur la paix, "un bien à
conquérir continuellement et qui exige une
vigilance absolue", estimant qu'il est
"nécessaire déduquer à la paix en
éloignant une culture du conflit qui vise à la
peur de lautre, à la marginalisation de
celui qui pense ou vit de manière différente",
qui "est trop souvent blessée par
différents conflits, mais aussi par le
terrorisme religieux et international qui nourrit
un profond mépris pour la vie humaine et fauche
sans discernement des victimes innocentes. Ce
phénomène est malheureusement très souvent
alimenté par un trafic darmes en toute
tranquillité . L'Eglise considère que "la
course aux armements est une plaie extrêmement
grave de l'humanité et lèse les pauvres d'une
manière intolérable". Le Saint Père a
ajouté : "La paix est violée aussi par le
trafic des êtres humains, qui est le nouvel
esclavage de notre temps et qui transforme les
personnes en marchandises déchange,
privant les victimes de toute dignité".
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Monsieur le Secrétaire Général,
Madame la Présidente,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de pouvoir prendre la parole en
cette Assemblée qui voit réunie une
représentation significative de l'Assemblée
Parlementaire du Conseil de l'Europe, les
Représentants des pays membres, les Juges de la
Cour Européenne des Droits de l'Homme, et aussi
les diverses Institutions qui composent le
Conseil de l'Europe. De fait, presque toute
l'Europe est présente en cette enceinte, avec
ses peuples, ses langues, ses expressions
culturelles et religieuses, qui constituent la
richesse de ce continent. Je suis
particulièrement reconnaissant au Secrétaire
général du Conseil de l'Europe, Monsieur
Thorbjorn Jagland, pour la courtoise invitation
et pour les aimables paroles de bienvenue qu'il
m'a adressées. Je salue Madame Anne Brasseur,
Présidente de l'Assemblée parlementaire, ainsi
que les représentants des diverses institutions
qui composent le Conseil de l'Europe. Je vous
remercie tous de tout coeur pour l'engagement que
vous prodiguez et pour la contribution que vous
offrez à la paix en Europe, par la promotion de
la démocratie, des droits humains et de l'Etat
de droit.
Dans l'intention de ses Pères fondateurs, le
Conseil de l'Europe, qui célèbre cette année
son 65e anniversaire, répondait à une tension
vers un idéal d'unité qui, à plusieurs
reprises, a animé la vie du continent depuis
l'antiquité. Cependant, au cours des siècles,
des poussées particularistes ont souvent
prévalu, caractérisées par la succession de
diverses volontés hégémoniques. Qu'il suffise
de penser que dix ans avant ce 5 mai 1949, où a
été signé à Londres le Traité qui a
institué le Conseil de l'Europe, commençait le
plus cruel et le plus déchirant conflit dont ces
terres se souviennent et dont les divisions se
sont poursuivies pendant de longues années,
alors que ce qu'on a appelé le rideau de fer
coupait en deux le continent de la Mer Baltique
au Golfe de Trieste. Le projet des Pères
fondateurs était de reconstruire l'Europe dans
un esprit de service mutuel, qui aujourd'hui
encore, dans un monde plus enclin à revendiquer
qu'à servir, doit constituer la clé de voûte
de la mission du Conseil de l'Europe, en faveur
de la paix, de la liberté et de la dignité
humaine.
D'autre part, la voie privilégiée vers la paix
pour éviter que ce qui est arrivé durant
les deux guerres mondiales du siècle dernier ne
se répète , c'est de reconnaître dans
l'autre non un ennemi à combattre, mais un
frère à accueillir. Il s'agit d'un processus
continu, qu'on ne peut jamais considérer
pleinement achevé. C'est justement l'intuition
qu'ont eue les Pères fondateurs, qui ont compris
que la paix était un bien à conquérir
continuellement, et qu'elle exigeait une
vigilance absolue. Ils étaient conscients que
les guerres s'alimentent dans le but de prendre
possession des espaces, de figer les processus et
de chercher à les arrêter ; par contre, ils
recherchaient la paix qui peut s'obtenir
seulement par l'attitude constante d'initier des
processus et de les poursuivre.
De cette manière, ils affirmaient la volonté de
cheminer en mûrissant dans le temps, parce que
c'est justement le temps qui gouverne les
espaces, les éclaire et les transforme en une
chaîne continue de croissance, sans voies de
retour. C'est pourquoi, construire la paix
demande de privilégier les actions qui
génèrent de nouveaux dynamismes dans la
société et impliquent d'autres personnes et
d'autres groupes qui les développeront, jusqu'à
ce qu'ils portent du fruit dans des événements
historiques importants.
Pour cela, ils ont créé cet Organisme stable.
Le bienheureux Paul VI, quelques années après,
eut à rappeler que "les institutions mêmes
qui, sur le plan juridique et dans le concert des
nations, ont pour rôle et ont le mérite
de proclamer et de conserver la paix,
n'atteignent le but prévu que si elles sont
continuellement à l'oeuvre, si elles savent à
chaque instant engendrer la paix, faire la
paix". Un chemin constant d'humanisation est
nécessaire, de sorte qu'"il ne suffit pas
de contenir les guerres, de suspendre les luttes,
(
) une paix imposée ne suffit pas, non
plus qu'une paix utilitaire et provisoire ; il
faut tendre vers une paix aimée, libre,
fraternelle, et donc fondée sur la
réconciliation des esprits". C'est-à-dire
poursuivre les processus sans anxiété mais
certainement avec des convictions claires et avec
ténacité.
Pour conquérir le bien de la paix, il faut avant
tout y éduquer, en éloignant une culture du
conflit qui vise à la peur de l'autre, à la
marginalisation de celui qui pense ou vit de
manière différente. Il est vrai que le conflit
ne peut être ignoré ou dissimulé, il doit
être assumé. Mais si nous y restons bloqués,
nous perdons la perspective, les horizons se
limitent et la réalité elle-même demeure
fragmentée. Quand nous nous arrêtons à la
situation conflictuelle, nous perdons le sens de
l'unité profonde de la réalité, nous arrêtons
l'histoire et nous tombons dans les usures
internes des contradictions stériles.
Malheureusement, la paix est encore trop souvent
blessée. Elle l'est dans de nombreuses parties
du monde, où font rage des conflits de diverses
sortes. Elle l'est aussi ici en Europe, où des
tensions ne cessent pas. Que de douleur et
combien de morts encore sur ce continent, qui
aspire à la paix, mais pourtant retombe
facilement dans les tentations d'autrefois ! Pour
cela, l'oeuvre du Conseil de l'Europe dans la
recherche d'une solution politique aux crises en
cours est importante et encourageante.
Mais la paix est aussi mise à l'épreuve par
d'autres formes de conflit, tels que le
terrorisme religieux et international, qui
nourrit un profond mépris pour la vie humaine et
fauche sans discernement des victimes innocentes.
Ce phénomène est malheureusement très souvent
alimenté par un trafic d'armes en toute
tranquillité. L'Eglise considère que "la
course aux armements est une plaie extrêmement
grave de l'humanité et lèse les pauvres d'une
manière intolérable". La paix est violée
aussi par le trafic des êtres humains, qui est
le nouvel esclavage de notre temps et qui
transforme les personnes en marchandises
d'échange, privant les victimes de toute
dignité. Assez souvent, nous notons également
comment ces phénomènes sont liés entre eux. Le
Conseil de l'Europe, à travers ses Commissions
et ses Groupes d'Experts, exerce un rôle
important et significatif dans le combat contre
ces formes d'inhumanité.
Cependant, la paix n'est pas la simple absence de
guerres, de conflits et de tensions. Dans la
vision chrétienne, elle est, en même temps, don
de Dieu et fruit de l'action libre et raisonnable
de l'homme qui entend poursuivre le bien commun
dans la vérité et dans l'amour. "Cet ordre
rationnel et moral s'appuie précisément sur la
décision de la conscience des êtres humains à
la recherche de l'harmonie dans leurs rapports
réciproques, dans le respect de la justice pour
tous".
Le chemin choisi par le Conseil de l'Europe est
avant tout celui de la promotion des droits
humains, auxquels est lié le développement de
la démocratie et de l'Etat de droit. C'est un
travail particulièrement précieux, avec
d'importantes implications éthiques et sociales,
puisque d'une juste conception de ces termes et
d'une réflexion constante sur eux dépendent le
développement de nos sociétés, leur
cohabitation pacifique et leur avenir. Cette
recherche est l'une des plus grandes
contributions que l'Europe a offerte et offre
encore au monde entier.
C'est pourquoi, en cette enceinte, je ressens le
devoir de rappeler l'importance de l'apport et de
la responsabilité de l'Europe dans le
développement culturel de l'humanité. Je
voudrais le faire en partant d'une image que
j'emprunte à un poète italien du XXe siècle,
Clemente Rebora, qui, dans l'une de ses poésies,
décrit un peuplier, avec ses branches élevées
vers le ciel et agitées par le vent, son tronc
solide et ferme, ainsi que ses racines profondes
qui s'enfoncent dans la terre. En un certain
sens, nous pouvons penser à l'Europe à la
lumière de cette image.
Au cours de son histoire, elle a toujours tendu
vers le haut, vers des objectifs nouveaux et
ambitieux, animée par un désir insatiable de
connaissance, de développement, de progrès, de
paix et d'unité. Mais l'élévation de la
pensée, de la culture, des découvertes
scientifiques est possible seulement à cause de
la solidité du tronc et de la profondeur des
racines qui l'alimentent. Si les racines se
perdent, lentement le tronc se vide et meurt et
les branches autrefois vigoureuses et
droites se plient vers la terre et
tombent. Ici, se trouve peut-être l'un des
paradoxes les plus incompréhensibles pour une
mentalité scientifique qui s'isole : pour
marcher vers l'avenir, il faut le passé, de
profondes racines sont nécessaires et il faut
aussi le courage de ne pas se cacher face au
présent et à ses défis. Il faut de la
mémoire, du courage, une utopie saine et
humaine.
D'autre part fait observer Rebora
"le tronc s'enfonce là où il y a davantage
de vrai". Les racines s'alimentent de la
vérité, qui constitue la nourriture, la sève
vitale de n'importe quelle société qui désire
être vraiment libre, humaine et solidaire. En
outre, la vérité fait appel à la conscience,
qui est irréductible aux conditionnements, et
pour cela est capable de connaître sa propre
dignité et de s'ouvrir à l'absolu, en devenant
source des choix fondamentaux guidés par la
recherche du bien pour les autres et pour soi et
lieu d'une liberté responsable.
Il faut ensuite garder bien présent à l'esprit
que sans cette recherche de la vérité, chacun
devient la mesure de soi-même et de son propre
agir, ouvrant la voie à l'affirmation subjective
des droits, de sorte qu'à la conception de droit
humain, qui a en soi une portée universelle, se
substitue l'idée de droit individualiste. Cela
conduit à être foncièrement insouciant des
autres et à favoriser la globalisation de
l'indifférence qui naît de l'égoïsme, fruit
d'une conception de l'homme incapable
d'accueillir la vérité et de vivre une
authentique dimension sociale.
Un tel individualisme rend humainement pauvre et
culturellement stérile, puisqu'il rompt de fait
les racines fécondes sur lesquelles se greffe
l'arbre. De l'individualisme indifférent naît
le culte de l'opulence, auquel correspond la
culture de déchet dans laquelle nous sommes
immergés. Nous avons, de fait, trop de choses,
qui souvent ne servent pas, mais nous ne sommes
plus en mesure de construire d'authentiques
relations humaines, empreintes de vérité et de
respect mutuel. Ainsi, aujourd'hui nous avons
devant les yeux l'image d'une Europe blessée, à
cause des nombreuses épreuves du passé, mais
aussi à cause des crises actuelles, qu'elle ne
semble plus capable d'affronter avec la vitalité
et l'énergie d'autrefois. Une Europe un peu
fatiguée et pessimiste, qui se sent assiégée
par les nouveautés provenant des autres
continents.
A l'Europe, nous pouvons demander : où est ta
vigueur ? Où est cette tension vers un idéal
qui a animé ton histoire et l'a rendue grande ?
Où est ton esprit d'entreprise et de curiosité
? Où est ta soif de vérité, que jusqu'à
présent tu as communiquée au monde avec passion
?
De la réponse à ces questions, dépendra
l'avenir du continent. D'autre part pour
revenir à l'image de Rebora un tronc sans
racines peut continuer d'avoir une apparence de
vie, mais à l'intérieur il se vide et meurt.
L'Europe doit réfléchir pour savoir si son
immense patrimoine humain, artistique, technique,
social, politique, économique et religieux est
un simple héritage de musée du passé, ou bien
si elle est encore capable d'inspirer la culture
et d'ouvrir ses trésors à l'humanité entière.
Dans la réponse à cette interrogation, le
Conseil de l'Europe avec ses institutions a un
rôle de première importance.
Je pense particulièrement au rôle de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme, qui constitue
en quelque sorte la conscience de
l'Europe pour le respect des droits humains. Je
souhaite que cette conscience mûrisse toujours
plus, non par un simple consensus entre les
parties, mais comme fruit de la tension vers ces
racines profondes, qui constituent les fondements
sur lesquels les Pères fondateurs de l'Europe
contemporaine ont choisi de construire.
Avec les racines qu'il faut chercher,
trouver et maintenir vivantes par l'exercice
quotidien de la mémoire, puisqu'elles
constituent le patrimoine génétique de l'Europe
il y a les défis actuels du continent qui
nous obligent à une créativité continue, pour
que ces racines soient fécondes aujourd'hui et
se projettent vers des utopies de l'avenir. Je me
permets d'en mentionner seulement deux : le défi
de la multipolarité et le défi de la
transversalité.
L'histoire de l'Europe peut nous amener à
concevoir celle-ci naïvement comme une
bipolarité, ou tout au plus comme une
tripolarité (pensons à l'antique conception :
Rome Byzance Moscou), et à nous
mouvoir à l'intérieur de ce schéma, fruit de
réductionnismes géopolitiques hégémoniques,
dans l'interprétation du présent et dans la
projection vers l'utopie de l'avenir.
Aujourd'hui, les choses ne se présentent pas
ainsi et nous pouvons légitimement parler d'une
Europe multipolaire. Les tensions aussi
bien celles qui construisent que celles qui
détruisent se produisent entre de
multiples pôles culturels, religieux et
politiques. L'Europe aujourd'hui affronte le
défi de "globaliser" de manière
originale cette multipolarité. Les cultures ne
s'identifient pas nécessairement avec les pays :
certains d'entre eux ont diverses cultures et
certaines cultures s'expriment dans divers pays.
Il en est de même des expressions politiques,
religieuses et associatives.
Globaliser de manière originale la
multipolarité comporte le défi d'une harmonie
constructive, libérée d'hégémonies qui, bien
qu'elles semblent pragmatiquement faciliter le
chemin, finissent par détruire l'originalité
culturelle et religieuse des peuples.
Parler de la multipolarité européenne signifie
parler de peuples qui naissent, croissent et se
projettent vers l'avenir. La tâche de globaliser
la multipolarité de l'Europe, nous ne pouvons
pas l'imaginer avec l'image de la sphère
dans laquelle tout est égal et ordonné, mais
qui en définitive est réductrice puisque chaque
point est équidistant du centre mais
plutôt avec celle du polyèdre, où l'unité
harmonique du tout conserve la particularité de
chacune des parties. Aujourd'hui, l'Europe est
multipolaire dans ses relations et ses tensions ;
on ne peut ni penser ni construire l'Europe sans
assumer à fond cette réalité multipolaire.
L'autre défi que je voudrais mentionner est la
transversalité. Je pars d'une expérience
personnelle : dans les rencontres avec les
politiciens de divers pays de l'Europe, j'ai pu
remarquer que les politiciens jeunes affrontent
la réalité avec une perspective différente par
rapport à leurs collègues plus adultes. Ils
disent peut-être des choses apparemment
similaires, mais l'approche est différente. La
lettre est la même mais la musique est
différente. Cela s'observe chez les jeunes
politiciens des divers partis. Cette donnée
empirique indique une réalité de l'Europe
contemporaine que l'on ne peut ignorer sur le
chemin de la consolidation continentale et de sa
projection future : tenir compte de cette
transversalité qui se retrouve dans tous les
domaines. Cela ne peut se faire sans recourir au
dialogue, même inter-générationnel. Si nous
voulions définir aujourd'hui le continent, nous
devrions parler d'une Europe en dialogue, qui
fait en sorte que la transversalité d'opinions
et de réflexions soit au service des peuples
unis dans l'harmonie.
Emprunter ce chemin de communication transversale
comporte non seulement une empathie
générationnelle mais aussi une méthodologie
historique de croissance. Dans le monde politique
actuel de l'Europe, le dialogue uniquement
interne aux organismes (politiques, religieux,
culturels) de sa propre appartenance se révèle
stérile. L'histoire aujourd'hui demande pour la
rencontre, la capacité de sortir des structures
qui "contiennent" sa propre identité
afin de la rendre plus forte et plus féconde
dans la confrontation fraternelle de la
transversalité. Une Europe qui dialogue
seulement entre ses groupes d'appartenance
fermés reste à mi-chemin ; on a besoin de
l'esprit de jeunesse qui accepte le défi de la
transversalité.
Dans cette perspective, j'accueille positivement
la volonté du Conseil de l'Europe d'investir
dans le dialogue inter-culturel, y compris dans
sa dimension religieuse, par les Rencontres sur
la dimension religieuse du dialogue
interculturel. Il s'agit d'une occasion propice
pour un échange ouvert, respectueux et
enrichissant entre personnes et groupes de
diverses origines, tradition ethnique,
linguistique et religieuse, dans un esprit de
compréhension et de respect mutuel.
Ces rencontres semblent particulièrement
importantes dans le contexte actuel
multiculturel, multipolaire, à la recherche de
son propre visage pour conjuguer avec sagesse
l'identité européenne formée à travers les
siècles avec les instances provenant des autres
peuples qui se manifestent à présent sur le
continent.
C'est dans cette logique qu'il faut comprendre
l'apport que le christianisme peut fournir
aujourd'hui au développement culturel et social
européen dans le cadre d'une relation correcte
entre religion et société. Dans la vision
chrétienne, raison et foi, religion et société
sont appelées à s'éclairer réciproquement, en
se soutenant mutuellement et, si nécessaire, en
se purifiant les unes les autres des extrémismes
idéologiques dans lesquelles elles peuvent
tomber. La société européenne tout entière ne
peut que tirer profit d'un lien renouvelé entre
les deux domaines, soit pour faire face à un
fondamentalisme religieux qui est surtout ennemi
de Dieu, soit pour remédier à une raison
"réduite", qui ne fait pas honneur à
l'homme.
Les thèmes d'actualité, dans lesquels je suis
convaincu qu'il peut y avoir un enrichissement
mutuel, où l'Eglise catholique
particulièrement à travers le Conseil des
Conférences Épiscopales d'Europe (CCEE)
peut collaborer avec le Conseil de l'Europe et
offrir une contribution fondamentale, sont très
nombreux. Avant tout, à la lumière de tout ce
que je viens de dire, il y a le domaine d'une
réflexion éthique sur les droits humains, sur
lesquels votre Organisation est souvent appelée
à se pencher. Je pense particulièrement aux
thèmes liés à la protection de la vie humaine,
questions délicates qui ont besoin d'être
soumises à un examen attentif, qui tienne compte
de la vérité de tout l'être humain, sans se
limiter à des domaines spécifiques médicaux,
scientifiques ou juridiques.
De même, ils sont nombreux, les défis du monde
contemporains qui requièrent une étude et un
engagement commun, à commencer par l'accueil des
migrants, qui ont besoin d'abord et avant tout de
l'essentiel pour vivre, mais principalement que
leur dignité de personnes soit reconnue. Il y a
ensuite le grave problème du travail, surtout en
ce qui concerne les niveaux élevés de chômage
des jeunes dans beaucoup de pays une vraie
hypothèque pour l'avenir mais aussi pour
la question de la dignité du travail.
Je souhaite vivement que s'instaure une nouvelle
collaboration sociale et économique, affranchie
de conditionnements idéologiques, qui sache
faire face au monde globalisé, en maintenant
vivant ce sens de solidarité et de charité
réciproques qui a tant caractérisé le visage
de l'Europe grâce à l'action généreuse de
centaines d'hommes et de femmes dont
certains sont considérés saints par l'Eglise
catholique qui, au cours des siècles, se
sont dépensés pour développer le continent,
tant à travers l'activité d'entreprise qu'à
travers des uvres éducatives, d'assistance
et de promotion humaine. Surtout ces dernières
représentent un point de référence important
pour les nombreux pauvres qui vivent en Europe.
Combien il y en a dans nos rues ? Ils demandent
non seulement le pain pour survivre, ce qui est
le plus élémentaire des droits, mais ils
demandent aussi à redécouvrir la valeur de leur
propre vie, que la pauvreté tend à faire
oublier, et à retrouver la dignité conférée
par le travail.
Enfin, parmi les thèmes qui sollicitent notre
réflexion et notre collaboration, il y a la
protection de l'environnement, de notre
bien-aimée Terre qui est la grande ressource que
Dieu nous a donnée et qui est à notre
disposition non pour être défigurée,
exploitée et avilie, mais pour que nous
puissions y vivre avec dignité, en jouissant de
son immense beauté.
Monsieur le Secrétaire général, Madame la
Présidente, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Le bienheureux Paul VI a défini l'Eglise
"experte en humanité". Dans le monde,
à l'imitation du Christ, malgré les péchés de
ses enfants, elle ne cherche rien d'autre que de
servir et de rendre témoignage à la vérité.
Rien d'autre que cet esprit ne nous guide dans le
soutien du chemin de l'humanité.
Avec cette disposition d'esprit, le Saint-Siège
entend continuer sa propre collaboration avec le
Conseil de l'Europe, qui revêt aujourd'hui un
rôle fondamental pour forger la mentalité des
futures générations d'Européens. Il s'agit
d'effectuer ensemble une réflexion dans tous les
domaines, afin que s'instaure une sorte de
"nouvelle agora", dans laquelle chaque
instance civile et religieuse puisse librement se
confronter avec les autres, même dans la
séparation des domaines et dans la diversité
des positions, animée exclusivement par le
désir de vérité et par celui d'édifier le
bien commun. La culture, en effet, naît toujours
de la rencontre réciproque, destinée à
stimuler la richesse intellectuelle et la
créativité de ceux qui y prennent part ; et
outre le fait que c'est la réalisation du bien,
cela est beau. Je souhaite que l'Europe, en
redécouvrant son patrimoine historique et la
profondeur de ses racines, en assumant sa vivante
multipolarité et le phénomène de la
transversalité en dialogue, retrouve cette
jeunesse d'esprit qui l'a rendue féconde et
grande.
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